mercredi 28 septembre 2022

EVEIL de Gina Tietz - Collectif la Levée - A la Folie Théâtre Paris 11ème

 


Eveil de Gina Tietz – par le Collectif La levée

Mise en scène de Gina Tietz

De nos solitudes arides à la possible communion

A la Folie Théâtre – Paris 2022

Spectacle vu le 24/09/2022

Le temps d’une nuit, Liv décide de réunir son groupe d’amis de l’adolescence. L’occasion ? Son anniversaire oublié de tous.

Je suis sorti de cette seconde pièce de Gina Tietz remué, ébranlé… On ne sort donc pas indemne d’un tel spectacle. Il faut un certain temps après Eveil pour l’assimiler, si tant est que cela soit possible ! C’est fort, puissant et dérangeant. Il s’agit d’un spectacle de fin d’études sur le thème de la jeunesse. Plus fondamentalement Eveil aborde les relations humaines dans leur difficulté et leur complexité autour de deux axes que sont l’amitié et l’amour (incluant donc les relations affectives et sexuelles). Cela fait quatre ans que Liv (son nom signifie la vie en danois, elle aurait pu aussi s’appeler Eve, la vivante) n’a pas revu ses camarades d’adolescence au nombre de cinq. Contrairement à son prénom Liv est tout sauf une vivante… Les liens se sont distendus, son anniversaire a été oublié, mais elle les invite tout de même chez elle. La première séquence transpire la gêne, le malaise, l’incapacité à communiquer. Auguste, entraîné malgré lui par sa petite amie Marg’ à cette soirée, est encore davantage figé que les autres… Belle performance de Timothée Blanche tout au long de ce spectacle. A ce couple s’en ajoute un autre, celui de Bobby, pas du tout coincé lui, et d’Alex, transpirant un certain sentiment de supériorité, une assurance affichée qu’il partage avec Marg’. André quant à lui vient seul. Ce groupe d’anciens amis souffre de l’incapacité à communiquer et se réfugie dans les paradis artificiels (alcools et drogues) pour briser la glace et instaurer un semblant de fête. Ce n’est pas la solution, la communication demeure difficile, voire impossible, même si les corps se frottent les uns aux autres et si l’on assiste à des recompositions de couples en cours de soirée d’un côté ou de l’autre du décor extrêmement sobre. Ce n’est pas par hasard si cette pièce est dominée par une suite de monologues (préparations à autant de résurrections personnelles) dont celui de Bobby est particulièrement chargé de sens même s’il contient un refrain convenu sur les vertus de la tolérance. Très peu de dialogues donc. Chacun semble enfermé dans son Ego. Dans l’un des monologues il est dit combien il nous est infiniment plus facile d’analyser les autres que de nous comprendre nous-mêmes, combien il est plus confortable de juger autrui que d’enlever le masque et d’être prêt à l’éveil… Cette pièce transpire le désespoir, la dépression de ces jeunes confrontés à leur incapacité à communiquer, à leur manque d’empathie flagrant… jusqu’à ce qu’un salutaire électrochoc fasse basculer les personnages vers une lueur d’espoir. Tout est tristement solitaire dans cette fête forcée. Paradoxalement c’est par le basculement de l’épreuve que ces jeunes passeront de leur enfermement à une possibilité de communion. Ce que je nomme ici le salutaire électrochoc. Je faisais remarquer à Gina et aux comédiens que le fil rouge de cette pièce ne pouvait que me rappeler le mystère de Pâques, l’idée de sacrifice rédempteur. Analogiquement il s’agit bien d’une mort et d’une résurrection, d’un éveil. Cela est particulièrement frappant pour le personnage d’Auguste froid et distant comme un marbre antique au début de la pièce, absent, à la limite de l’autisme, et qui, éveillé à lui-même par Bobby, rayonne au final toute son humanité. La racine de son illustre prénom en latin Augustus est la même que celle du verbe augmenter… La trajectoire d’Auguste démontre avec brio à quel point le passage par l’épreuve l’a en effet augmenté ! André, le seul à n’être pas en couple ou accompagné lors de cette soirée, est le plus attentif aux tourments de Liv, le plus à l’écoute… comme si les deux couples ou paires du premier acte étaient des alliances d’Ego, renfermées sur leur petit bonheur. Enfin la symbolique de la photographie me semble intéressante. Dans la première partie Liv montre à ses invités la photo prise il y a 4 ans quand le groupe était celui d’adolescents amis. Quelque part Liv tente bien maladroitement de ressusciter ce passé, il y a de la nostalgie en elle. Elle a perdu quelque chose et elle en souffre. Dans la seconde partie, après la transition de l’électrochoc, on tente de prendre une nouvelle photo, celle du groupe soudé non plus par l’alcool et la drogue ou les vibrations de la musique, pas seulement par le frottement des corps, mais vivant une nouvelle communion issue de l’épreuve vécue ensemble. Tentative illusoire. Les instants de grâce ne se reproduisent pas, ils ne peuvent être fixés et retenus par aucune photographie. Peut-être est-ce une manière de nous dire que dans les cycles de dépression et d’espoir qui peuvent rythmer nos vies humaines, c’est chaque jour qu’il faut se risquer à la relation avec les autres, au dialogue et finalement à la possibilité d’un éveil personnel qui est toujours à recommencer.

Qui détient ici les clés de la porte qui mène à la vie ? C’est moi et toi et toi- C’est nous (Note d’intention de Gina Tietz).

Robert Culat, délégué épiscopal à la culture pour le diocèse d’Avignon