vendredi 26 août 2022

GOUROU de François Aubagnac (Festival off d'Avignon 2022)

 


Gourou de François Aubagnac

Un gourou entre Eros et Thanatos

Mise en scène de Suzanne Gardeux

20h40 au théâtre de l’Observance – Avignon 2022

Cette pièce de type café-théâtre est à l’origine la création de fin d’étude de sept jeunes diplômés (5 garçons et 2 filles) du cours Florent (Meilleur spectacle de la saison 2019/2020). François Aubagnac, né en 1988, a toujours été fasciné depuis son adolescence par le phénomène sectaire (Raël, l’Ordre du temple solaire etc.). L’histoire qu’il a imaginée est à la fois basique et improbable. Un jeune homme, Mathias (interprété par Loïck Müllauer), vient de perdre sa copine (Zoé/ Suzanne Gardeux), son appart et son travail. Il se réfugie chez Pierre (François Aubagnac), le frère de son ex-compagne. Voilà pour le basique. Vient ensuite l’improbable ou le loufoque au choix : un notaire (Raphaël Guérin) venu spécialement des Etats-Unis (le pays ayant produit le plus grand nombre de sectes dans l’histoire de l’humanité !) lui apprend qu’il est l’héritier des biens d’une secte américaine (100 millions de dollars)… à condition de convertir 5000 fidèles en 6 mois à la secte véritaniste (qui diffuse cela va sans dire la vérité)… Son ami Pierre s’improvise alors en manager, attiré par l’appât du gain, pour lui permettre d’atteindre cet objectif et de gagner le jackpot. L’histoire est dès le départ remplie de chiffres (la somme d’argent, le nombre de fidèles, le délai temporel, le nombre de vues sur Internet…) ce qui n’augure rien de bon quant à la qualité spirituelle de l’aventure dans laquelle Mathias, devenu le gourou, va nous entraîner et se laisser entraîner malgré lui. La comédie va rapidement virer au drame… et personne n’en sortira indemne. Si, pour citer François Aubagnac, les sectes ça peut paraître marrant, le processus d’endoctrinement décrit par le spectacle nous entraine sur un chemin de mort. Il n’en reste pas moins vrai que malgré le sérieux du sujet, le rire est au rendez-vous tout au long de ce parcours sectaire exposé avec fougue et talent par les jeunes acteurs dans ses diverses phases et caractéristiques. On ne voit pas passer le temps ! (1h15) Et on perçoit avec plaisir la complicité qui lie les 7 acteurs, ce qui procure à leur jeu une force remarquable et un excellent résultat sur scène.

Le plan d’action se décline en trois éléments : 1°/ Une tenue originale (qui sera pour Mathias et ses adeptes minimaliste : le slip. Un gourou réel l’a en effet fait sienne aux Etats-Unis !) ; 2°/ Une histoire à raconter (sur un plateau télé le gourou en herbe témoigne de son expérience de mort imminente et de sa rencontre avec le père du Créateur !) ; 3°/ Une bonne communication (passer à la télé, faire un clip sur Internet etc.). François Aubagnac distille tout au long de ce spectacle les caractéristiques essentielles définissant une secte. Tout part d’une situation de faiblesse dans la vie de Mathias et de la perspective d’un succès financier. Ce loser magnifique a d’une manière miraculeuse (l’annonce de l’héritage) la possibilité de se consoler de ses échecs. Devenir le gourou de l’Eglise véritaniste sera en quelque sorte une revanche sur Zoé qui lui obtiendra enfin reconnaissance et célébrité. Sur le plateau télé, interviewé par le présentateur (Thomas Milatos est brillant dans ce rôle), il commence par inventer une histoire proprement incroyable puis, par un processus psychologique qui serait à étudier, il finit par croire à ses propres mensonges, soutenu en cela par le plus fervent de ses premiers disciples Dorian (Excellente interprétation de Dorian Fontyn dans la figure du fanatique plus papiste que le pape). Cette évolution de Mathias le sépare de sa famille, de ses amis et même de Pierre, son manager en vue d’obtenir l’héritage. Mathias devient un homme isolé, coupé de toutes ses anciennes relations sociales. Et bien sûr sa nouvelle famille sera la secte ! En tant que gourou il obtiendra le pouvoir de manipuler, le pouvoir d’abuser sexuellement des filles de la secte, le pouvoir de gagner de l’argent. Tous les ingrédients classiques d’une secte sont bien présents. Tout cela évidemment au nom de l’Amour. Il viendra chuchoter à l’oreille de chaque spectateur un « je t’aime » aussi théâtral que vide de sens. En prêchant l’amour « universel » le gourou dénonce l’amour dans le couple, le mariage et la famille. A un moment Dorian, le fanatique, montre bien les limites de l’universalité de cet amour lorsqu’il a le plus grand mal à dire à Pierre « je t’aime ». Dénonciation de l’illusion d’un amour soi-disant « universel » mais en fait limité aux membres de la secte. Un amour donc qui enferme au lieu d’ouvrir aux autres et à l’altérité. Un amour qui sépare et exclue au lieu de créer la communion entre des personnes différentes. La supercherie du message transmis par le gourou lui permet de transformer des abus sexuels en actes sacrés,  abus partagés avec Dorian qui goûte aux femmes avant lui pour juger si elles sont dignes du Maître. L’orgasme cosmique est en effet sacré car il permet par la reproduction à partir de la semence du gourou de créer une humanité nouvelle… Tout est cosmique dans la secte, pas seulement le plaisir sexuel, mais aussi l’argent (la dime cosmique) et le semblant de vie éternelle promise aux membres (l’antre cosmique). Relevons l’abus de vocabulaire typique des sectes. Un qualificatif grandiloquent (cosmique) appliqué automatiquement à toutes les actions de la secte mais qui ne correspond absolument à rien… Du vide cosmique ! Bonne communication en effet ! Elément de langage sectaire, miroir des éléments de langage du discours creux des politiciens ayant atteint ces dernières années des sommets. Mais pour atteindre l’antre cosmique, il faut accepter de passer par la mort… Ou comment un pseudo amour universel peut devenir véritablement mortifère. Ce qu’illustre parfaitement la redoutable utilisation d’une partie (le volet Hiver) de la splendide BO du film Requiem for a dream (2000), film d’Aronofsky consacré à toutes les addictions et dépendances, pas seulement celles aux drogues. Message implicite de la mise en scène assimilant l’appartenance sectaire à une addiction à une drogue dure. Mathias, le gourou, tout au long de cette aventure inattendue, n’aura pas seulement anéanti ses adorateurs mais il se sera lui-même anéanti, faute d’avoir eu le réflexe de reculer et de dire stop lorsqu’il était encore temps (Pierre et Zoé incarnent dans cette pièce la voix de la rationalité impuissante face à la conviction sectaire). L’ouverture de cette pièce est pour moi l’une des plus belles réussites de la mise en scène. Elle nous montre en effet, par anticipation, dans une scénographie parfaite des corps, la domination et la manipulation du gourou sur les membres de la secte. Il les abaisse et les relève à son gré. Le mouvement des corps presque nus n’est que la traduction physique de la perte de liberté des membres de l’Eglise véritaniste. Dès le départ Mathias le gourou nous est présenté comme une idole, toujours au centre, toujours dominant, forcément le plus beau, un Apollon qui fait de ses disciples des esclaves. Le décorum de la secte se limite à une croix avec un voile en forme de V sous les bras de la croix (Le V de la vérité véritaniste). François Aubagnac a voulu ainsi rappeler le pillage des symboles religieux traditionnels par les sectes. Il se pose dans sa pièce des questions qui dépassent le thème des sectes pour s’étendre à celui des religions et des dogmes. En témoigne cet échange entre le gourou et Pierre : -On va pas surfer sur les questions existentielles des gens pour recruter des fidèles ! – C’est pas le principe des religions ça ? Oui, c’est en effet un point commun entre les sectes, les religions… et la philosophie ! Pierre Vesperini démontre avec brio dans son étude La philosophie antique que chez les Grecs la frontière entre religion et philosophie n’était pas aussi étanche que ne le laissent penser nos souvenirs des cours de philo de Terminale. Epicure était l’équivalent d’un gourou dans son Jardin et les écoles philosophiques s’appelaient justement des sectes, mais sans la connotation négative que ce mot a depuis prise. A mon sens la différence fondamentale entre une secte et une religion tient d’abord au respect de la liberté de conscience. L’endoctrinement dénoncé avec raison par François Aubagnac est essentiellement une négation de la liberté humaine, donc de la dignité de l’homme. Dignité qui implique toujours le respect de sa liberté.

Je conclurai ces réflexions que m’inspire ce magnifique spectacle par quelques citations des Evangiles. Même si Jésus ne parle pas du danger des sectes, force est de constater qu’il a bien mis en garde ses disciples contre certaines dérives sectaires dont l’hypocrisie des gourous et la crédulité de ceux qui leur font confiance…  Si Jésus invite à la foi, il nous demande de ne pas tomber dans la crédulité. Quatre citations me viennent à l’esprit :

Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces. (Matthieu 7, 15).

Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. (Matthieu 23, 8-10)

Alors si quelqu’un vous dit : “Voilà le Messie ! Il est là !” ou bien encore : “Il est là !”, n’en croyez rien. Il surgira des faux messies et des faux prophètes, ils produiront des signes grandioses et des prodiges, au point d’égarer, si c’était possible, même les élus. Voilà : je vous l’ai dit à l’avance. 26 Si l’on vous dit : “Le voilà dans le désert”, ne sortez pas. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le fond de la maison”, n’en croyez rien. (Matthieu 23, 23-26)

Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. (Marc 12, 38-40).

Robert Culat, délégué épiscopal à la culture du diocèse d’Avignon