Gourou de
François Aubagnac
Un gourou
entre Eros et Thanatos
Mise en
scène de Suzanne Gardeux
20h40 au
théâtre de l’Observance – Avignon 2022
Cette
pièce de type café-théâtre est à l’origine la création de fin d’étude de sept
jeunes diplômés (5 garçons et 2 filles) du cours Florent (Meilleur spectacle de
la saison 2019/2020). François Aubagnac, né en 1988, a toujours été fasciné
depuis son adolescence par le phénomène sectaire (Raël, l’Ordre du temple
solaire etc.). L’histoire qu’il a imaginée est à la fois basique et improbable.
Un jeune homme, Mathias (interprété par Loïck Müllauer), vient de perdre sa
copine (Zoé/ Suzanne Gardeux), son appart et son travail. Il se réfugie chez
Pierre (François Aubagnac), le frère de son ex-compagne. Voilà pour le basique.
Vient ensuite l’improbable ou le loufoque au choix : un notaire (Raphaël
Guérin) venu spécialement des Etats-Unis (le pays ayant produit le plus grand
nombre de sectes dans l’histoire de l’humanité !) lui apprend qu’il est
l’héritier des biens d’une secte américaine (100 millions de dollars)… à
condition de convertir 5000 fidèles en 6 mois à la secte véritaniste (qui diffuse cela va sans dire la vérité)… Son ami
Pierre s’improvise alors en manager, attiré par l’appât du gain, pour lui
permettre d’atteindre cet objectif et de gagner le jackpot. L’histoire est dès
le départ remplie de chiffres (la somme d’argent, le nombre de fidèles, le
délai temporel, le nombre de vues sur Internet…) ce qui n’augure rien de bon quant
à la qualité spirituelle de l’aventure dans laquelle Mathias, devenu le gourou,
va nous entraîner et se laisser entraîner malgré lui. La comédie va rapidement
virer au drame… et personne n’en sortira indemne. Si, pour citer François
Aubagnac, les sectes ça peut paraître
marrant, le processus d’endoctrinement décrit par le spectacle nous
entraine sur un chemin de mort. Il n’en reste pas moins vrai que malgré le
sérieux du sujet, le rire est au rendez-vous tout au long de ce parcours
sectaire exposé avec fougue et talent par les jeunes acteurs dans ses diverses
phases et caractéristiques. On ne voit pas passer le temps ! (1h15) Et on
perçoit avec plaisir la complicité qui lie les 7 acteurs, ce qui procure à leur
jeu une force remarquable et un excellent résultat sur scène.
Le plan
d’action se décline en trois éléments : 1°/ Une tenue originale (qui sera
pour Mathias et ses adeptes minimaliste : le slip. Un gourou réel l’a en
effet fait sienne aux Etats-Unis !) ; 2°/ Une histoire à raconter
(sur un plateau télé le gourou en herbe témoigne de son expérience de mort
imminente et de sa rencontre avec le père du Créateur !) ; 3°/ Une
bonne communication (passer à la télé, faire un clip sur Internet etc.).
François Aubagnac distille tout au long de ce spectacle les caractéristiques
essentielles définissant une secte. Tout part d’une situation de faiblesse dans
la vie de Mathias et de la perspective d’un succès financier. Ce loser magnifique a d’une manière
miraculeuse (l’annonce de l’héritage) la possibilité de se consoler de ses
échecs. Devenir le gourou de l’Eglise véritaniste
sera en quelque sorte une revanche sur Zoé qui lui obtiendra enfin
reconnaissance et célébrité. Sur le plateau télé, interviewé par le
présentateur (Thomas Milatos est brillant dans ce rôle), il commence par
inventer une histoire proprement incroyable puis, par un processus
psychologique qui serait à étudier, il finit par croire à ses propres
mensonges, soutenu en cela par le plus fervent de ses premiers disciples Dorian
(Excellente interprétation de Dorian Fontyn dans la figure du fanatique plus
papiste que le pape). Cette évolution de Mathias le sépare de sa famille, de
ses amis et même de Pierre, son manager en vue d’obtenir l’héritage. Mathias
devient un homme isolé, coupé de toutes ses anciennes relations sociales. Et
bien sûr sa nouvelle famille sera la secte ! En tant que gourou il
obtiendra le pouvoir de manipuler, le pouvoir d’abuser sexuellement des filles
de la secte, le pouvoir de gagner de l’argent. Tous les ingrédients classiques
d’une secte sont bien présents. Tout cela évidemment au nom de l’Amour. Il
viendra chuchoter à l’oreille de chaque spectateur un « je t’aime »
aussi théâtral que vide de sens. En prêchant l’amour « universel » le
gourou dénonce l’amour dans le couple, le mariage et la famille. A un moment
Dorian, le fanatique, montre bien les limites de l’universalité de cet amour
lorsqu’il a le plus grand mal à dire à Pierre « je t’aime ». Dénonciation
de l’illusion d’un amour soi-disant « universel » mais en fait limité
aux membres de la secte. Un amour donc qui enferme au lieu d’ouvrir aux autres
et à l’altérité. Un amour qui sépare et exclue au lieu de créer la communion
entre des personnes différentes. La supercherie du message transmis par le
gourou lui permet de transformer des abus sexuels en actes sacrés, abus partagés avec Dorian qui goûte aux femmes
avant lui pour juger si elles sont dignes du Maître. L’orgasme cosmique est en effet sacré car il permet par la
reproduction à partir de la semence du gourou de créer une humanité nouvelle…
Tout est cosmique dans la secte, pas seulement le plaisir sexuel, mais aussi
l’argent (la dime cosmique) et le
semblant de vie éternelle promise aux membres (l’antre cosmique). Relevons l’abus de vocabulaire typique des
sectes. Un qualificatif grandiloquent (cosmique)
appliqué automatiquement à toutes les actions de la secte mais qui ne
correspond absolument à rien… Du vide cosmique !
Bonne communication en effet ! Elément de langage sectaire, miroir des
éléments de langage du discours creux des politiciens ayant atteint ces
dernières années des sommets. Mais pour atteindre l’antre cosmique, il faut accepter de passer par la mort… Ou comment
un pseudo amour universel peut devenir véritablement mortifère. Ce qu’illustre
parfaitement la redoutable utilisation d’une partie (le volet Hiver) de la splendide BO du film Requiem for a dream (2000), film d’Aronofsky consacré à toutes les
addictions et dépendances, pas seulement celles aux drogues. Message implicite
de la mise en scène assimilant l’appartenance sectaire à une addiction à une
drogue dure. Mathias, le gourou, tout au long de cette aventure inattendue,
n’aura pas seulement anéanti ses adorateurs mais il se sera lui-même anéanti,
faute d’avoir eu le réflexe de reculer et de dire stop lorsqu’il était encore
temps (Pierre et Zoé incarnent dans cette pièce la voix de la rationalité
impuissante face à la conviction sectaire). L’ouverture de cette pièce est pour
moi l’une des plus belles réussites de la mise en scène. Elle nous montre en
effet, par anticipation, dans une scénographie parfaite des corps, la
domination et la manipulation du gourou sur les membres de la secte. Il les
abaisse et les relève à son gré. Le mouvement des corps presque nus n’est que
la traduction physique de la perte de liberté des membres de l’Eglise véritaniste. Dès le départ Mathias le
gourou nous est présenté comme une idole, toujours au centre, toujours
dominant, forcément le plus beau, un Apollon qui fait de ses disciples des
esclaves. Le décorum de la secte se limite à une croix avec un voile en forme
de V sous les bras de la croix (Le V de la vérité véritaniste). François Aubagnac a voulu ainsi rappeler le pillage
des symboles religieux traditionnels par les sectes. Il se pose dans sa pièce
des questions qui dépassent le thème des sectes pour s’étendre à celui des
religions et des dogmes. En témoigne cet échange entre le gourou et Pierre :
-On va pas surfer sur les questions
existentielles des gens pour recruter des fidèles ! – C’est pas le
principe des religions ça ? Oui, c’est en effet un point commun entre
les sectes, les religions… et la philosophie ! Pierre Vesperini démontre avec
brio dans son étude La philosophie
antique que chez les Grecs la frontière entre religion et philosophie
n’était pas aussi étanche que ne le laissent penser nos souvenirs des cours de
philo de Terminale. Epicure était l’équivalent d’un gourou dans son Jardin et les écoles philosophiques
s’appelaient justement des sectes, mais sans la connotation négative que ce mot
a depuis prise. A mon sens la différence fondamentale entre une secte et une
religion tient d’abord au respect de la liberté de conscience. L’endoctrinement
dénoncé avec raison par François Aubagnac est essentiellement une négation de
la liberté humaine, donc de la dignité de l’homme. Dignité qui implique
toujours le respect de sa liberté.
Je
conclurai ces réflexions que m’inspire ce magnifique spectacle par quelques
citations des Evangiles. Même si Jésus ne parle pas du danger des sectes, force
est de constater qu’il a bien mis en garde ses disciples contre certaines
dérives sectaires dont l’hypocrisie des gourous et la crédulité de ceux qui leur
font confiance… Si Jésus invite à la
foi, il nous demande de ne pas tomber dans la crédulité. Quatre citations me
viennent à l’esprit :
Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à
vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces.
(Matthieu 7, 15).
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre
de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes
tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez
qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le
titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. (Matthieu
23, 8-10)
Alors si quelqu’un vous dit : “Voilà le
Messie ! Il est là !” ou bien encore : “Il est là !”, n’en croyez rien. Il
surgira des faux messies et des faux prophètes, ils produiront des signes
grandioses et des prodiges, au point d’égarer, si c’était possible, même les
élus. Voilà : je vous l’ai dit à l’avance. 26 Si l’on vous dit : “Le voilà dans
le désert”, ne sortez pas. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le fond de la
maison”, n’en croyez rien. (Matthieu 23, 23-26)
Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se
promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places
publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur
dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils
font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. (Marc 12,
38-40).
Robert
Culat, délégué épiscopal à la culture du diocèse d’Avignon
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