lundi 3 octobre 2022

DE L'AMBITION de Yann Reuzeau - Manufacture des abbesses - Paris 18ème

 


De l’ambition de Yann Reuzeau

Mise en scène de Yann Reuzeau

Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers (Luc 13, 30)

Manufacture des abbesses – Paris 2022

Spectacle vu le 25/09/2022

Leur adolescence s’achève. Bientôt, le reste de leur vie.

Résumé : Cinq adolescents à la fin de leur histoire. La fin de leur adolescence, de leur amitié, de leur monde. Bientôt, le reste de leur vie. Il faut décider de ce que l'on veut devenir. L’avenir. Une chance ou une menace. Léa veut sauver la terre entière, y compris ceux qui voudraient qu’on les laisse en paix. Parvaneh vit sous la menace (ou le soulagement?) d’un retour dans le pays de son enfance. Eliott souhaite que leur groupe n’explose pas, et peut-être même ressentir quelque chose de personnel, un jour. Jonathan juge le monde avec distance et froideur, et veut y vivre selon ses règles. Et il y a aussi Cécile. Qui regarde, observe, et prie pour que personne ne lui parle. Jamais. (dossier de presse)

Distribution :

Gaia Samakh: Léa

Gabriel Valadon: Jonathan

Clara Baumzecer: Cécile

Inès Weinberger : Parvaneh

Julian Baudoin: Eliott

Lors du week-end des 24 et 25 septembre 2022, j’ai pu voir à Paris deux spectacles qui présentent de nombreuses affinités thématiques : Eveil de Gina Tietz (cf. ma critique sur ce site) et De l’ambition  de Yann Reuzeau, texte publié en 2015 chez ACTES SUD-PAPIERS. Simplement Eveil nous montre de jeunes adultes tandis que De l’ambition nous plonge dans les relations compliquées d’un groupe de lycéens en Terminale.

Tout commence dans une salle de classe de Terminale dans l’attente du prof avec 5 lycéens dont certains sont en mouvement et en interaction et d’autres solitaires ou en retrait. Le décor changera au cours du spectacle pour devenir plus intimiste dans l’appartement de l’un ou l’autre des lycéens, au cours d’une soirée ou encore dans d’autres circonstances. Cette pièce traite de l’extrême difficulté à vivre cet âge dans lequel il faut choisir son orientation après le bac. Au passage Yann Reuzeau décoche quelques flèches acérées contre Parcours sup… Le titre de la pièce me semble quelque peu trompeur, car la seule ambitieuse du groupe c’est bien Léa qui, dans la plus grande partie du spectacle, mène la danse et se pose en leader du groupe. Elle en a à revendre de l’ambition, pour elle et pour ses camarades qu’elle juge trop mous, se contentant de trop peu ou de pas assez. Pensez-vous, l’un d’entre eux aspire à être postier, quelle honte ! Elle forme un couple hétéroclite avec Jonathan qui, bien que d’origine bourgeoise, semble plus à l’aide dans le rôle de dealer de cité… et qui n’en a absolument rien à faire de Parcours sup. Léa et Jonathan semblent davantage unis par les plaisirs de la chair que par les attraits de l’esprit. Ce qui permet d’aborder la thématique de la sexualité de ces lycéens, au travers de la religion dans le cas de Parvaneh, née de parents iraniens. Le personnage de Cécile constitue à mon sens l’axe majeur du spectacle. Totalement renfermée en elle-même et silencieuse, elle attire la pitié de Léa qui se décide à la sauver de son isolement quitte à lui prêter son petit copain pour qu’il l’initie aux plaisirs charnels, mais ce sauvetage passe d’abord par la parole. Quant à la virginité affichée de Parvaneh, elle gêne aussi Léa et demeure incompréhensible pour ses camarades. C’est le duo Cécile/Parvaneh avec Eliott qui va passer entre le début et la fin de la pièce d’un état de frustration à celui d’un commencement d’accomplissement et cela en partie grâce à Léa. Ces jeunes lycéens ne se comprennent plus et le groupe est sur le point d’exploser. La communication est extrêmement difficile car souvent pulsionnelle, changeante au gré des humeurs et des réactions des uns des autres qui se jugent et s’exhortent mutuellement chacun pensant détenir la vérité. Les relations, elles aussi, sont changeantes et s’entremêlent et se recomposent, ce qui crée une impression d’instabilité et de malaise. Ce n’est qu’à la toute fin du spectacle (qui a toutes les caractéristiques d’un dénouement inattendu) qu’une certaine stabilité s’annonce et avec elle une lueur d’espoir pour trois de ces jeunes tandis que celle qui a tant d’assurance se retrouve dans une situation d’inconfort existentiel. La trajectoire de cette pièce est donc celle d’un échange de situation, comme si Léa la perfectionniste, celle qui a de l’ambition et veut sauver les autres, incarnait une figure sacrificielle. Ceux qui étaient le moins intégrés, les moins à l’aise dans leur basket, finissent par trouver l’espoir d’une vie qui les motive enfin. Au départ certains sont isolés, d’autres en couple, mais tous au fond mal à l’aise avec eux-mêmes et leur situation… même probablement Léa et Jonathan malgré leur assurance affichée. Au final nous avons un trio, un couple qui accueille une amie en colocation. J’y vois pour ma part le signe que la relation idéale commence à trois, à la manière de l’exemple divin de la Trinité, Trinité qui dans la théologie chrétienne est essentiellement un mystère de communication et de relation dans l’amour. La trajectoire existentielle peut ainsi être caractérisée de la manière suivante : de l’isolement, en passant par le couple ou le duo, on parvient à la communion donc à la vie. Une communion d'amour qui est ouverte aux autres par l'amitié, qui inclue l'autre par la solidarité.

 Père Robert Culat


mercredi 28 septembre 2022

EVEIL de Gina Tietz - Collectif la Levée - A la Folie Théâtre Paris 11ème

 


Eveil de Gina Tietz – par le Collectif La levée

Mise en scène de Gina Tietz

De nos solitudes arides à la possible communion

A la Folie Théâtre – Paris 2022

Spectacle vu le 24/09/2022

Le temps d’une nuit, Liv décide de réunir son groupe d’amis de l’adolescence. L’occasion ? Son anniversaire oublié de tous.

Je suis sorti de cette seconde pièce de Gina Tietz remué, ébranlé… On ne sort donc pas indemne d’un tel spectacle. Il faut un certain temps après Eveil pour l’assimiler, si tant est que cela soit possible ! C’est fort, puissant et dérangeant. Il s’agit d’un spectacle de fin d’études sur le thème de la jeunesse. Plus fondamentalement Eveil aborde les relations humaines dans leur difficulté et leur complexité autour de deux axes que sont l’amitié et l’amour (incluant donc les relations affectives et sexuelles). Cela fait quatre ans que Liv (son nom signifie la vie en danois, elle aurait pu aussi s’appeler Eve, la vivante) n’a pas revu ses camarades d’adolescence au nombre de cinq. Contrairement à son prénom Liv est tout sauf une vivante… Les liens se sont distendus, son anniversaire a été oublié, mais elle les invite tout de même chez elle. La première séquence transpire la gêne, le malaise, l’incapacité à communiquer. Auguste, entraîné malgré lui par sa petite amie Marg’ à cette soirée, est encore davantage figé que les autres… Belle performance de Timothée Blanche tout au long de ce spectacle. A ce couple s’en ajoute un autre, celui de Bobby, pas du tout coincé lui, et d’Alex, transpirant un certain sentiment de supériorité, une assurance affichée qu’il partage avec Marg’. André quant à lui vient seul. Ce groupe d’anciens amis souffre de l’incapacité à communiquer et se réfugie dans les paradis artificiels (alcools et drogues) pour briser la glace et instaurer un semblant de fête. Ce n’est pas la solution, la communication demeure difficile, voire impossible, même si les corps se frottent les uns aux autres et si l’on assiste à des recompositions de couples en cours de soirée d’un côté ou de l’autre du décor extrêmement sobre. Ce n’est pas par hasard si cette pièce est dominée par une suite de monologues (préparations à autant de résurrections personnelles) dont celui de Bobby est particulièrement chargé de sens même s’il contient un refrain convenu sur les vertus de la tolérance. Très peu de dialogues donc. Chacun semble enfermé dans son Ego. Dans l’un des monologues il est dit combien il nous est infiniment plus facile d’analyser les autres que de nous comprendre nous-mêmes, combien il est plus confortable de juger autrui que d’enlever le masque et d’être prêt à l’éveil… Cette pièce transpire le désespoir, la dépression de ces jeunes confrontés à leur incapacité à communiquer, à leur manque d’empathie flagrant… jusqu’à ce qu’un salutaire électrochoc fasse basculer les personnages vers une lueur d’espoir. Tout est tristement solitaire dans cette fête forcée. Paradoxalement c’est par le basculement de l’épreuve que ces jeunes passeront de leur enfermement à une possibilité de communion. Ce que je nomme ici le salutaire électrochoc. Je faisais remarquer à Gina et aux comédiens que le fil rouge de cette pièce ne pouvait que me rappeler le mystère de Pâques, l’idée de sacrifice rédempteur. Analogiquement il s’agit bien d’une mort et d’une résurrection, d’un éveil. Cela est particulièrement frappant pour le personnage d’Auguste froid et distant comme un marbre antique au début de la pièce, absent, à la limite de l’autisme, et qui, éveillé à lui-même par Bobby, rayonne au final toute son humanité. La racine de son illustre prénom en latin Augustus est la même que celle du verbe augmenter… La trajectoire d’Auguste démontre avec brio à quel point le passage par l’épreuve l’a en effet augmenté ! André, le seul à n’être pas en couple ou accompagné lors de cette soirée, est le plus attentif aux tourments de Liv, le plus à l’écoute… comme si les deux couples ou paires du premier acte étaient des alliances d’Ego, renfermées sur leur petit bonheur. Enfin la symbolique de la photographie me semble intéressante. Dans la première partie Liv montre à ses invités la photo prise il y a 4 ans quand le groupe était celui d’adolescents amis. Quelque part Liv tente bien maladroitement de ressusciter ce passé, il y a de la nostalgie en elle. Elle a perdu quelque chose et elle en souffre. Dans la seconde partie, après la transition de l’électrochoc, on tente de prendre une nouvelle photo, celle du groupe soudé non plus par l’alcool et la drogue ou les vibrations de la musique, pas seulement par le frottement des corps, mais vivant une nouvelle communion issue de l’épreuve vécue ensemble. Tentative illusoire. Les instants de grâce ne se reproduisent pas, ils ne peuvent être fixés et retenus par aucune photographie. Peut-être est-ce une manière de nous dire que dans les cycles de dépression et d’espoir qui peuvent rythmer nos vies humaines, c’est chaque jour qu’il faut se risquer à la relation avec les autres, au dialogue et finalement à la possibilité d’un éveil personnel qui est toujours à recommencer.

Qui détient ici les clés de la porte qui mène à la vie ? C’est moi et toi et toi- C’est nous (Note d’intention de Gina Tietz).

Robert Culat, délégué épiscopal à la culture pour le diocèse d’Avignon

 


vendredi 26 août 2022

GOUROU de François Aubagnac (Festival off d'Avignon 2022)

 


Gourou de François Aubagnac

Un gourou entre Eros et Thanatos

Mise en scène de Suzanne Gardeux

20h40 au théâtre de l’Observance – Avignon 2022

Cette pièce de type café-théâtre est à l’origine la création de fin d’étude de sept jeunes diplômés (5 garçons et 2 filles) du cours Florent (Meilleur spectacle de la saison 2019/2020). François Aubagnac, né en 1988, a toujours été fasciné depuis son adolescence par le phénomène sectaire (Raël, l’Ordre du temple solaire etc.). L’histoire qu’il a imaginée est à la fois basique et improbable. Un jeune homme, Mathias (interprété par Loïck Müllauer), vient de perdre sa copine (Zoé/ Suzanne Gardeux), son appart et son travail. Il se réfugie chez Pierre (François Aubagnac), le frère de son ex-compagne. Voilà pour le basique. Vient ensuite l’improbable ou le loufoque au choix : un notaire (Raphaël Guérin) venu spécialement des Etats-Unis (le pays ayant produit le plus grand nombre de sectes dans l’histoire de l’humanité !) lui apprend qu’il est l’héritier des biens d’une secte américaine (100 millions de dollars)… à condition de convertir 5000 fidèles en 6 mois à la secte véritaniste (qui diffuse cela va sans dire la vérité)… Son ami Pierre s’improvise alors en manager, attiré par l’appât du gain, pour lui permettre d’atteindre cet objectif et de gagner le jackpot. L’histoire est dès le départ remplie de chiffres (la somme d’argent, le nombre de fidèles, le délai temporel, le nombre de vues sur Internet…) ce qui n’augure rien de bon quant à la qualité spirituelle de l’aventure dans laquelle Mathias, devenu le gourou, va nous entraîner et se laisser entraîner malgré lui. La comédie va rapidement virer au drame… et personne n’en sortira indemne. Si, pour citer François Aubagnac, les sectes ça peut paraître marrant, le processus d’endoctrinement décrit par le spectacle nous entraine sur un chemin de mort. Il n’en reste pas moins vrai que malgré le sérieux du sujet, le rire est au rendez-vous tout au long de ce parcours sectaire exposé avec fougue et talent par les jeunes acteurs dans ses diverses phases et caractéristiques. On ne voit pas passer le temps ! (1h15) Et on perçoit avec plaisir la complicité qui lie les 7 acteurs, ce qui procure à leur jeu une force remarquable et un excellent résultat sur scène.

Le plan d’action se décline en trois éléments : 1°/ Une tenue originale (qui sera pour Mathias et ses adeptes minimaliste : le slip. Un gourou réel l’a en effet fait sienne aux Etats-Unis !) ; 2°/ Une histoire à raconter (sur un plateau télé le gourou en herbe témoigne de son expérience de mort imminente et de sa rencontre avec le père du Créateur !) ; 3°/ Une bonne communication (passer à la télé, faire un clip sur Internet etc.). François Aubagnac distille tout au long de ce spectacle les caractéristiques essentielles définissant une secte. Tout part d’une situation de faiblesse dans la vie de Mathias et de la perspective d’un succès financier. Ce loser magnifique a d’une manière miraculeuse (l’annonce de l’héritage) la possibilité de se consoler de ses échecs. Devenir le gourou de l’Eglise véritaniste sera en quelque sorte une revanche sur Zoé qui lui obtiendra enfin reconnaissance et célébrité. Sur le plateau télé, interviewé par le présentateur (Thomas Milatos est brillant dans ce rôle), il commence par inventer une histoire proprement incroyable puis, par un processus psychologique qui serait à étudier, il finit par croire à ses propres mensonges, soutenu en cela par le plus fervent de ses premiers disciples Dorian (Excellente interprétation de Dorian Fontyn dans la figure du fanatique plus papiste que le pape). Cette évolution de Mathias le sépare de sa famille, de ses amis et même de Pierre, son manager en vue d’obtenir l’héritage. Mathias devient un homme isolé, coupé de toutes ses anciennes relations sociales. Et bien sûr sa nouvelle famille sera la secte ! En tant que gourou il obtiendra le pouvoir de manipuler, le pouvoir d’abuser sexuellement des filles de la secte, le pouvoir de gagner de l’argent. Tous les ingrédients classiques d’une secte sont bien présents. Tout cela évidemment au nom de l’Amour. Il viendra chuchoter à l’oreille de chaque spectateur un « je t’aime » aussi théâtral que vide de sens. En prêchant l’amour « universel » le gourou dénonce l’amour dans le couple, le mariage et la famille. A un moment Dorian, le fanatique, montre bien les limites de l’universalité de cet amour lorsqu’il a le plus grand mal à dire à Pierre « je t’aime ». Dénonciation de l’illusion d’un amour soi-disant « universel » mais en fait limité aux membres de la secte. Un amour donc qui enferme au lieu d’ouvrir aux autres et à l’altérité. Un amour qui sépare et exclue au lieu de créer la communion entre des personnes différentes. La supercherie du message transmis par le gourou lui permet de transformer des abus sexuels en actes sacrés,  abus partagés avec Dorian qui goûte aux femmes avant lui pour juger si elles sont dignes du Maître. L’orgasme cosmique est en effet sacré car il permet par la reproduction à partir de la semence du gourou de créer une humanité nouvelle… Tout est cosmique dans la secte, pas seulement le plaisir sexuel, mais aussi l’argent (la dime cosmique) et le semblant de vie éternelle promise aux membres (l’antre cosmique). Relevons l’abus de vocabulaire typique des sectes. Un qualificatif grandiloquent (cosmique) appliqué automatiquement à toutes les actions de la secte mais qui ne correspond absolument à rien… Du vide cosmique ! Bonne communication en effet ! Elément de langage sectaire, miroir des éléments de langage du discours creux des politiciens ayant atteint ces dernières années des sommets. Mais pour atteindre l’antre cosmique, il faut accepter de passer par la mort… Ou comment un pseudo amour universel peut devenir véritablement mortifère. Ce qu’illustre parfaitement la redoutable utilisation d’une partie (le volet Hiver) de la splendide BO du film Requiem for a dream (2000), film d’Aronofsky consacré à toutes les addictions et dépendances, pas seulement celles aux drogues. Message implicite de la mise en scène assimilant l’appartenance sectaire à une addiction à une drogue dure. Mathias, le gourou, tout au long de cette aventure inattendue, n’aura pas seulement anéanti ses adorateurs mais il se sera lui-même anéanti, faute d’avoir eu le réflexe de reculer et de dire stop lorsqu’il était encore temps (Pierre et Zoé incarnent dans cette pièce la voix de la rationalité impuissante face à la conviction sectaire). L’ouverture de cette pièce est pour moi l’une des plus belles réussites de la mise en scène. Elle nous montre en effet, par anticipation, dans une scénographie parfaite des corps, la domination et la manipulation du gourou sur les membres de la secte. Il les abaisse et les relève à son gré. Le mouvement des corps presque nus n’est que la traduction physique de la perte de liberté des membres de l’Eglise véritaniste. Dès le départ Mathias le gourou nous est présenté comme une idole, toujours au centre, toujours dominant, forcément le plus beau, un Apollon qui fait de ses disciples des esclaves. Le décorum de la secte se limite à une croix avec un voile en forme de V sous les bras de la croix (Le V de la vérité véritaniste). François Aubagnac a voulu ainsi rappeler le pillage des symboles religieux traditionnels par les sectes. Il se pose dans sa pièce des questions qui dépassent le thème des sectes pour s’étendre à celui des religions et des dogmes. En témoigne cet échange entre le gourou et Pierre : -On va pas surfer sur les questions existentielles des gens pour recruter des fidèles ! – C’est pas le principe des religions ça ? Oui, c’est en effet un point commun entre les sectes, les religions… et la philosophie ! Pierre Vesperini démontre avec brio dans son étude La philosophie antique que chez les Grecs la frontière entre religion et philosophie n’était pas aussi étanche que ne le laissent penser nos souvenirs des cours de philo de Terminale. Epicure était l’équivalent d’un gourou dans son Jardin et les écoles philosophiques s’appelaient justement des sectes, mais sans la connotation négative que ce mot a depuis prise. A mon sens la différence fondamentale entre une secte et une religion tient d’abord au respect de la liberté de conscience. L’endoctrinement dénoncé avec raison par François Aubagnac est essentiellement une négation de la liberté humaine, donc de la dignité de l’homme. Dignité qui implique toujours le respect de sa liberté.

Je conclurai ces réflexions que m’inspire ce magnifique spectacle par quelques citations des Evangiles. Même si Jésus ne parle pas du danger des sectes, force est de constater qu’il a bien mis en garde ses disciples contre certaines dérives sectaires dont l’hypocrisie des gourous et la crédulité de ceux qui leur font confiance…  Si Jésus invite à la foi, il nous demande de ne pas tomber dans la crédulité. Quatre citations me viennent à l’esprit :

Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces. (Matthieu 7, 15).

Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. (Matthieu 23, 8-10)

Alors si quelqu’un vous dit : “Voilà le Messie ! Il est là !” ou bien encore : “Il est là !”, n’en croyez rien. Il surgira des faux messies et des faux prophètes, ils produiront des signes grandioses et des prodiges, au point d’égarer, si c’était possible, même les élus. Voilà : je vous l’ai dit à l’avance. 26 Si l’on vous dit : “Le voilà dans le désert”, ne sortez pas. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le fond de la maison”, n’en croyez rien. (Matthieu 23, 23-26)

Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. (Marc 12, 38-40).

Robert Culat, délégué épiscopal à la culture du diocèse d’Avignon