De
l’ambition de Yann Reuzeau
Mise en
scène de Yann Reuzeau
Il
y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers (Luc
13, 30)
Manufacture
des abbesses – Paris 2022
Spectacle
vu le 25/09/2022
Leur
adolescence s’achève. Bientôt, le reste de leur vie.
Résumé : Cinq adolescents à la fin de leur
histoire. La fin de leur adolescence, de leur amitié, de leur monde. Bientôt,
le reste de leur vie. Il faut décider de ce que l'on veut devenir. L’avenir.
Une chance ou une menace. Léa veut sauver la terre entière, y compris ceux qui
voudraient qu’on les laisse en paix. Parvaneh vit sous la menace (ou le
soulagement?) d’un retour dans le pays de son enfance. Eliott souhaite que leur
groupe n’explose pas, et peut-être même ressentir quelque chose de personnel,
un jour. Jonathan juge le monde avec distance et froideur, et veut y vivre
selon ses règles. Et il y a aussi Cécile. Qui regarde, observe, et prie pour
que personne ne lui parle. Jamais. (dossier de presse)
Distribution :
Gaia
Samakh: Léa
Gabriel
Valadon: Jonathan
Clara
Baumzecer: Cécile
Inès
Weinberger : Parvaneh
Julian
Baudoin: Eliott
Lors du
week-end des 24 et 25 septembre 2022, j’ai pu voir à Paris deux spectacles qui
présentent de nombreuses affinités thématiques : Eveil de Gina Tietz (cf. ma critique sur ce site) et De l’ambition de Yann Reuzeau, texte publié en 2015 chez ACTES
SUD-PAPIERS. Simplement Eveil nous
montre de jeunes adultes tandis que De
l’ambition nous plonge dans les relations compliquées d’un groupe de
lycéens en Terminale.
Tout
commence dans une salle de classe de Terminale dans l’attente du prof avec 5
lycéens dont certains sont en mouvement et en interaction et d’autres
solitaires ou en retrait. Le décor changera au cours du spectacle pour devenir
plus intimiste dans l’appartement de l’un ou l’autre des lycéens, au cours
d’une soirée ou encore dans d’autres circonstances. Cette pièce traite de
l’extrême difficulté à vivre cet âge dans lequel il faut choisir son
orientation après le bac. Au passage Yann Reuzeau décoche quelques flèches
acérées contre Parcours sup… Le titre
de la pièce me semble quelque peu trompeur, car la seule ambitieuse du groupe
c’est bien Léa qui, dans la plus grande partie du spectacle, mène la danse et
se pose en leader du groupe. Elle en a à revendre de l’ambition, pour elle et
pour ses camarades qu’elle juge trop mous, se contentant de trop peu ou de pas
assez. Pensez-vous, l’un d’entre eux aspire à être postier, quelle honte !
Elle forme un couple hétéroclite avec Jonathan qui, bien que d’origine
bourgeoise, semble plus à l’aide dans le rôle de dealer de cité… et qui n’en a
absolument rien à faire de Parcours sup. Léa
et Jonathan semblent davantage unis par les plaisirs de la chair que par les
attraits de l’esprit. Ce qui permet d’aborder la thématique de la sexualité de
ces lycéens, au travers de la religion dans le cas de Parvaneh, née de parents
iraniens. Le personnage de Cécile constitue à mon sens l’axe majeur du
spectacle. Totalement renfermée en elle-même et silencieuse, elle attire la pitié
de Léa qui se décide à la sauver de son isolement quitte à lui prêter son petit
copain pour qu’il l’initie aux plaisirs charnels, mais ce sauvetage passe
d’abord par la parole. Quant à la virginité affichée de Parvaneh, elle gêne
aussi Léa et demeure incompréhensible pour ses camarades. C’est le duo
Cécile/Parvaneh avec Eliott qui va passer entre le début et la fin de la pièce
d’un état de frustration à celui d’un commencement d’accomplissement et cela en
partie grâce à Léa. Ces jeunes lycéens ne se comprennent plus et le groupe est
sur le point d’exploser. La communication est extrêmement difficile car souvent
pulsionnelle, changeante au gré des humeurs et des réactions des uns des autres
qui se jugent et s’exhortent mutuellement chacun pensant détenir la vérité. Les
relations, elles aussi, sont changeantes et s’entremêlent et se recomposent, ce
qui crée une impression d’instabilité et de malaise. Ce n’est qu’à la toute fin
du spectacle (qui a toutes les caractéristiques d’un dénouement inattendu)
qu’une certaine stabilité s’annonce et avec elle une lueur d’espoir pour trois de
ces jeunes tandis que celle qui a tant d’assurance se retrouve dans une
situation d’inconfort existentiel. La trajectoire de cette pièce est donc celle
d’un échange de situation, comme si Léa la perfectionniste, celle qui a de
l’ambition et veut sauver les autres, incarnait une figure sacrificielle. Ceux
qui étaient le moins intégrés, les moins à l’aise dans leur basket, finissent
par trouver l’espoir d’une vie qui les motive enfin. Au départ certains sont
isolés, d’autres en couple, mais tous au fond mal à l’aise avec eux-mêmes et
leur situation… même probablement Léa et Jonathan malgré leur assurance affichée. Au final nous avons un trio,
un couple qui accueille une amie en colocation. J’y vois pour ma part le signe
que la relation idéale commence à trois, à la manière de l’exemple divin de la
Trinité, Trinité qui dans la théologie chrétienne est essentiellement un
mystère de communication et de relation dans l’amour. La trajectoire existentielle
peut ainsi être caractérisée de la manière suivante : de l’isolement, en
passant par le couple ou le duo, on parvient à la communion donc à la vie. Une communion d'amour qui est ouverte aux autres par l'amitié, qui inclue l'autre par la solidarité.
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