mercredi 2 août 2023

TOURNESOL, de Thomas Laurent

 


TOURNESOL

Carpe diem  

Festival off d’Avignon – 2023

Atypik théâtre / 16h10

Compagnie Les enfants des autres

Texte : Thomas Laurent

Mise en scène : Jeanne Celot, Thomas Laurent

Tournesol est une pièce de théâtre musicale qui explore les thèmes universels de la famille, de l’amour, de l’amitié et de la mort, en cherchant à faire valser vos petits cœurs du rire aux larmes. ON RACONTE QUOI ? Oscar est condamné. Combien de temps lui reste-t-il ? Ça, nul ne le sait. C’est la petite particularité dans son cas. Cela peut être un an. Ou bien deux jours. Et puis un jour, bim. Adieu, Oscar. Ce dont il est sûr, c’est qu’il va continuer à vivre normalement. Jusqu’à la fin. Il ne dira rien. À personne. Pas même à l’amour de sa vie, Tim, et encore moins à Lucas, son frère. Pour les protéger. Le hic : le secret médical, ça n’est vraiment pas le point fort de son médecin… (Dossier artistique)

Note d’intention : Cette histoire, c’est celle d’Oscar, un jeune homme de 25 ans condamné à mourir. Son objectif ? Le cacher à ses proches, pour les protéger et pour pouvoir continuer à vivre « normalement » jusqu’à la fin. Ne pas voir l’image d’un mourant se refléter dans leurs yeux. La maladie d’Oscar, qui le dévore de l’intérieur, nous la traitons ici sous la forme d’une mélodie, qui se répand dans son corps et remonte lentement jusqu’à sa tête, emmenée par cette femme médecin qui s’empare de ses instruments. La musique devient ainsi un langage universel, capable de transmettre les émotions indicibles et de créer une connexion avec le public. Pour dire des choses qu’on ne saurait dire avec les mots. « La mélodie se répand, un peu partout dans votre corps » - La Musicienne. Cette pièce n’est pourtant pas une invitation à la dépression. Bien au contraire. Nous pensons que pour traiter un sujet grave au théâtre, il faut le faire avant tout avec humour. Rire, nous croyons que c’est ce qui participe à nous maintenir toutes et tous debout. L’humour est aussi puissant que l’amour ou que la mort. Ainsi est-il ancré dans l’identité du récit, à travers des personnages haut en couleur et leur petit lot de situations saugrenues. Notamment cette étrange Contrôleuse, qui semble tout savoir d’Oscar et qui lui apparaît au moment où le compte à rebours est lancé. Thomas Laurent (Auteur et metteur en scène)

Le spectacle Tournesol a pour centre un thème profondément bouleversant : une médecin, sans compassion ni éthique, annonce à Oscar, jeune homme de 25 ans, qu’il est condamné à une mort plus ou moins prochaine mais bien certaine. Mort et jeunesse, deux mots que l’on ne supporte pas de voir accolés l’un à l’autre… et pourtant ! La pièce de Thomas Laurent raconte donc les derniers instants d’Oscar qui veut les vivre avec intensité tout en préservant son entourage. Lorsque la mort frappe à la porte d’une vie à peine commencée, elle questionne, elle ébranle. A travers cette menace à la fois proche et lointaine (Oscar ne connaît ni le jour ni l’heure de son adieu à la vie) les diverses relations humaines sont abordées : les liens familiaux (le frère Lucas, le père qui vous a abandonné et avec lequel on n’a plus de relations depuis tant d’années), l’amour (incarné par le personnage de Tim magnifiquement interprété par Ruben Lemonnier)… Les frères Oscar et Lucas qui se posent différemment la question d’une tentative de réconciliation avec leur père avant l’instant fatal… La mise en scène est minimaliste[1] et donne une grande importance aux ambiances musicales (merveilleuse introduction musicale !). L’utilisation de voiles et de tissus est particulièrement efficace pour suggérer certaines étapes des derniers jours d’Oscar avec une métaphore de la Mort qui ne laisse pas indifférent. La troupe des jeunes acteurs/actrices est vraiment talentueuse, et je ne peux que saluer la performance de Jules TCHEREPOFF dans le rôle d’Oscar. Je fais miens les mots de la critique de La Provence qualifiant Tournesol de spectacle poignant tout en mettant en évidence le talent incontestable des comédiens : C’est la grande force de cette pièce interprétée par des acteurs magnifiques, sobres et d’une intensité constante que de suggérer plutôt que d’affirmer. C’est Lucas qui parle du tournesol comme d’une fleur capable de pousser en terrain aride et de fertiliser par sa mort le même terrain… D’ailleurs Oscar ne veut pas de l’enterrement classique à l’église que son père a déjà préparé pour lui avec une place de choix au cimetière… Il rêve de devenir un arbre, un sapin… Qu’à partir de ses restes mortels la vie puisse repousser à travers cet arbre. Tournesol nous fait passer en très peu de temps d’ambiances festives (la rencontre avec Tim dans une discothèque), agréables et nostalgiques (les vacances à la mer là où on allait en famille quand on était enfants), intimistes (la relation d’amour avec Tim) à la crudité scientifique du discours de l’employée des pompes funèbres qui, en préparant le corps d’Oscar, lui explique toutes les étapes de sa prochaine décomposition… Echo contemporain au célèbre verset du livre de la Genèse : Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. Tournesol de par son thème central (la mort et l’amour) est un spectacle philosophique, qui ébranle et qui fait réfléchir. Il nous remet en présence de la grande fragilité de notre condition humaine. Une maladie suffit en effet pour arrêter le cours de la vie. On peut penser dans ce contexte à l’éloge de la santé sous la plume de Ben Sirac, dans le livre de l’Ancien Testament qui porte son nom, le Siracide ou Ecclésiastique :

Mieux vaut un pauvre en bonne santé et de constitution robuste qu’un riche torturé par la maladie. Santé et bonne constitution valent mieux que tout l’or du monde ; un corps vigoureux vaut mieux qu’une immense fortune. Il n’est pas de richesse préférable à la santé du corps, ni de bien-être supérieur à la joie de vivre. Mieux vaut la mort qu’une vie d’amertume, et le repos éternel qu’une maladie sans fin. (Chapitre 30)

« Il n’est pas de bien-être supérieur à la joie de vivre »… C’est dans cet esprit qu’Oscar veut, avec toute l’énergie qui lui reste, vivre ses derniers instants sur cette terre. Comme s’il avait entendu l’appel lancé par l’auteur du livre de l’Ecclésiaste :

Réjouis-toi, jeune homme, dans ton adolescence, et sois heureux aux jours de ta jeunesse. Suis les sentiers de ton cœur et les désirs de tes yeux ! Mais sache que pour tout cela Dieu t’appellera en jugement. Éloigne de ton cœur le chagrin, écarte de ta chair la souffrance car l’adolescence et le printemps de la vie ne sont que vanité. (Chapitre 11).

En sortant de ce spectacle le qualificatif qui me vient spontanément à l’esprit est délicatesse. Malgré le sérieux dramatique du thème, aucune amertume dans Tournesol. Uniquement une grande atmosphère de délicatesse qui nous plonge dans la tendresse et la douceur. A aucun moment n’affleure chez Oscar la violence du sentiment de révolte face à l’injustice de la mort qui l’emporte vers son destin… Sa seule « violence », à l’égard de Tim, est en fait l’expression de sa tendresse pour celui qu’il aime et dont il est aimé, et qu’il veut protéger. L’attitude de douce résignation d’Oscar lui donne un profil stoïcien. Le talent conjugué de Thomas Laurent, Jeanne Celot  et des interprètes fait que nous ne sommes pas accablés par la mort d’Oscar. La délicatesse avec laquelle sont interprétés ces derniers moments de vie fait que la mort du jeune homme est une « belle » mort. Il s’y est préparé en appliquant le conseil de l’épicurien Horace, Carpe diem, et c’est précisément pour cela que sa mort ne nous accable pas. Elle nous renvoie plutôt à notre propre finitude nous invitant à accueillir chaque jour le don de la vie et à faire de notre vie de chaque jour un chef-d’œuvre. Thomas Laurent et Jules Tcherepoff nous font voir un Oscar qui fait en quelque sorte de son adieu au monde une œuvre d’art et un testament d’espérance.

Que Jupiter t’accorde plus d’un hiver, ou que celui-ci soit le dernier, qui, maintenant, brise la mer tyrrhénienne contre l’obstacle des falaises rongées, sois sage, filtre tes vins, et, puisque nous durons peu, retranche les longs espoirs. Pendant que nous parlons, voilà que le temps jaloux a fui : cueille le jour (carpe diem), sans te fier le moins du monde au lendemain. Horace, Odes 1, 11.

 

   

 

 

 

 



[1] 5 cubes noirs, ce sont tour à tour des sièges de train, un canapé ou un brancard d’hôpital…


dimanche 30 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: J'ai rendez-vous avec Molière / Mozart vs Mozart


Mon coup de cœur de ce festival !

Il n’est pas nécessaire d’en dire beaucoup sinon que le texte fouillé est d’une grande finesse littéraire et historique, que l’osmose entre la personnalité, l’âme et le génie de Molière est totale et surtout que l’acteur joue et dit si bien qu’il nous emmène avec lui à la rencontre de celui qui a donné son nom à notre langue… Une prestation magnifique où les amoureux de ce français que certains écorchent ou mutilent retrouve son absolue beauté, celle que le siècle de Molière avait faite régner sur le monde, époque où le beau, le vrai, le juste étaient au goût du jour et que « notre langue belle » (Yves Duteil), incarne si bien ! Merci et bravo monsieur Kalfa et madame Konopka !



Un adorable spectacle musical, certes ! Mais beaucoup de talent dans cette famille belge qui présente avec humour une vie de Mozart revisitée avec drôlerie ! Un très bon moment et un grand bravo à chacun pour la qualité des interprétations avec de très différents instruments !

 




samedi 29 juillet 2023

Ironie de l'histoire / Réda Seddiki

 


Ironie de l’histoire / Réda Seddiki

Le grand magicien des mots et du verbe

Festival off d’Avignon – 2023

La comédie d’Avignon / 17h30

Texte : Réda Seddiki

J’ai découvert le Stand-up Ironie de l’histoire écrit et magistralement interprété par Réda Seddiki lors de l’édition 2022 du festival off d’Avignon. Entre les deux festivals nous nous sommes revus à Paris. J’y suis retourné cette année. Dans ce spectacle d’humour finement ciselé Réda se révèle un magicien des mots. Son amour de la littérature et du langage, son amour des langues (son éloge de la langue algérienne en témoigne), il l’a emmené avec lui depuis sa terre natale, l’Algérie, jusqu’en France, à Paris. On entend parler de tranches de vie en Algérie puis en France. Ce spectacle, largement autobiographique, nous élève par le rire et l’autodérision, surtout par une belle maîtrise de la langue et beaucoup d’émotion, dans les vastes domaines de la pensée et de la réflexion. On y parle de bureaucratie, de frontières, de racisme, de politique, de portes fermées qui pourraient être ouvertes, de religions,  de traditions, de famille, de littérature et de langue, d’amour, de cuisine (et si on remplaçait les mots arabe par couscous, italien par pizza etc. ?) mais surtout de culture. Quelques extraits pour donner le ton du spectacle :

On n’est pas mauvais, c’est juste qu’on se protège tellement qu’on laisse à personne l’occasion de faire de bonnes choses. Ce passage sur les portes fermées (et l’obsession sécuritaire de manière plus générale) qui « empêchent les inconnus d’entrer chez vous pour y faire une bonne action » m’a fait penser au magnifique film coréen Locataires de Kim Ki-Duk (2005).

Sur la relation parents-enfants :

Pendant longtemps c’est les parents qui apprennent des choses à leurs enfants, puis vient un moment où c’est les enfants qui apprennent des choses à leurs parents, et c’est ce switch-là qui fait si la relation est bonne ou pas.

Je dis : Il y a tellement de conflits géopolitiques qu’il faut mettre la culture au cœur de l’identité. Il ne faut plus dire son pays mais un élément culturel de son pays. C’est beau la musique, il n’y a pas de clivage, pas de haine, pas de guerre. Personne ne va bombarder le Québec pour récupérer Céline Dion.

S’il faut mettre la culture au cœur de l’identité, c’est bien la culture qui est au cœur de L’ironie de l’histoire. Le stand-up de Réda est en effet un hymne à la culture comme moyen exceptionnel de relier les hommes entre eux par-delà les frontières et les identités nationales. La culture comme moyen de dialogue, donc de réconciliation, de compréhension mutuelle et de paix. L’exemple de la musique me fait penser à un groupe israélien de Metal, Orphaned Land, qui affirme avec fierté rassembler dans ses concerts Juifs et Palestiniens, Juifs et Arabes.

Le Figaro parle de Réda en utilisant la belle métaphore pascalienne du roseau pensant. Oui, le grand Réda a bien l’allure d’un roseau, et aucun doute à ce sujet, ce roseau est pensant. La finesse de son humour est mise au service de grandes et belles pensées. Si son spectacle nous fait rire d’un bout à l’autre, si l’émotion qu’il dégage est palpable, il a cette grande qualité de nous faire penser. Bref si on ressort non seulement heureux et comblés par cette magistrale interprétation, on quitte Réda avec le sentiment d’être moins bêtes (plus intelligents ?), et surtout plus humains. Ironie de l’histoire nous apporte en effet un message d’espérance et de paix. L’humour de Réda est toujours bienveillant et rempli d’amour. A son image…

Aujourd’hui, dans « Ironie de l’histoire », je n’ai plus d’opinions, mais des pensées, je ne cherche plus à prendre parti mais à prendre position, enfin je ne veux plus dénoncer mais démasquer. Faire tomber ces filtres que les sociétés imposent à chaque individu et explorer de nouveaux paradigmes de l’humour contemporain. Note d’intention de l’auteur.

Et si on se mettait à lire Anatole Algérie, Albert Kamel et Ferdinand Selim ?

 

 


vendredi 28 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: Les gens heureux ne tombent pas amoureux / Le prénom / Djobi comme Bach/

 


Une comédie dramatique bien écrite, des acteurs faisant passer les émotions et les vérités que nous révèle le texte sur les sentiments, l’égo et l’égoïsme, le carriérisme et l’ambition, la tendresse et l’amour… Ce que l’on croit être, ce que l’on voudrait être, ce que l’on désire et ce dont on rêve… Un excellent moment de théâtre d’où l’on sort en essuyant une larme, celle qui est venue à l’écoute des regrets tout en se demandant : « Et moi ? Qui suis-je ? Théo, Elsa ou Solange ?






 Cette comédie devenue un classique du théâtre de boulevard est interprétée avec maestria. Le texte est grinçant à souhait et remet toutes les pendules à l’heure pour chacun des spectateurs ! Une très bonne « comédie humaine » à voir absolument !



Toujours un grand plaisir de retrouver « la compagnie Swing’hommes » ! Cette année Jean-Sébastien Bach et Manitas de Plata sont à l’honneur pour un moment toujours trop court de virtuosité, humour et musique. Quand on les a vus une fois on y revient toujours ! Ils sont excellents et leur qualité musicale n’est plus à prouver ! Bravo !



De trader à comédien il n’y a qu’un pas si l’on en croit Fouad !! Il sait tout faire et bien !! Son humour est décapant ou émouvant, il prend le public à partie avec gentillesse, répartie et sarcasme mais toujours de bon ton. Un très agréable moment de rire et d’émotion à voir vite vite avant la fin du festival !


Un nouvel humoriste vraiment prometteur ! Un jeune que tous considèrent comme un intello présente ses problèmes pour prendre sa place dans la société dès son plus jeune âge car… « l’intello » personne ne veut le fréquenter !! jeux de mots, humour noir, intelligence perlent cette heure de bonne humeur pour petits et grands ! Une carrière à suivre !!


L’idée est bonne et le défi élevé ! Devos, l’UNIQUE, comment faire ? Le duo s’en sort bien, l’utilisation des textes est bien faite et ils tiennent le rythme !! La mise en scène des duos est bonne, en revanche ajouter « un ballet de mauvais goût » gâte la sauce et l’intro, les coupures par le troisième larron n’apportent rien au spectacle et, à mon avis, n’étaient pas nécessaires entre les lignes du grand Raymond ! Bon spectacle malgré tout car les deux compères sont au top !                                                           

 


 


 


 


 

mardi 25 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: Mon Tchaïkovski / Colette de l'autre côté du miroir / Les parents viennent de Mars, les enfants... du Mc Do/

 


Une histoire improbable pour les artistes d’aujourd’hui : une femme très fortunée tombe platoniquement amoureuse d’un compositeur déjà célèbre et lui accorde, sans jamais souhaiter le rencontrer pour préserver « son rêve », un confort financier absolu durant de très nombreuses années. Ils ont échangé beaucoup de lettres et ces dernières composent le texte de ce moment de romantisme absolu. La pianiste offre un Tchaïkovski puissant ou tendre, violent ou amoureux selon les lignes rédigées par lui ou Nadeja Philaretovna lit avec un charme mesuré, une colère retenue, un envoutement pondéré et un chagrin d’une grande dignité. Moment raffiné où mots et notes se mêlent pour un voyage que l’on voudrait poursuivre …



Quand on s’assied avant les trois coups, on se demande ce qui va se passer avec la sorte d’échafaudage qui trône sur la scène. Puis Colette commence à dérouler sa vie et tout en parlant avec la justesse d’une actrice « en fin de carrière », débobine, fait filer, serpenter, évoluer à travers les tubes de cette charpente toute la vie de cet écrivain aux multiples talents. Comme elle, elle mime, danse, se contorsionne avec souplesse et élégance sans jamais lâcher le texte mais lui donnant toute sa force et son génie. La mise en scène est si juste que tout est ponctué pour permettre aux spectateurs de voir défiler devant lui la vie entière de Colette et d’être capable en sortant de la raconter sans en oublier le moindre détail. Beaucoup de charme, d’élégance, une palette de talents dont chaque couleur est utilisée par un pinceau précis dans la main d’un grand maître ! très beau spectacle !



Une comédie pour toute la famille ! Ceux qui n’auraient pas vu la société évoluer sont en une séance, remis au goût du jour ! Tout y est du pire au meilleur d’une jeunesse qui semble échapper aux parents mais qui, finalement, leur porte beaucoup d’amour quand ceux-ci font aussi tout pour les aimer et leur montrer cette tendresse.

Un papa énergique et qui fait tout ce qu’il peut … Il est un peu perdu face à la nouvelle génération mais il garde sa place et ne lâche rien !! Drôle et rondement menée cet épisode de « sociologie 2023 » redonne de l’espoir malgré tout : quand on aime on ne compte pas et la victoire est assurée !


Passionnant de suivre la vie aventureuse et tumultueuse de cette française qui est, eh oui, à l’origine du cinéma américain tel que nous l’apprécions aujourd’hui…. Bien installé dans la salle obscure, quand l’écran s’illumine du sigle GAUMOND PATHE, savons-nous qu’Alice Guy, totalement oubliée, est la créatrice du cinéma de fiction au sein de cette compagnie naissante en 1896 ?

Un instant de mélancolie au sein de tous ces personnages d’une époque riche en création et innovations de tous genre… Une très bonne pièce, biographie bien léchée et bien interprétée. Hollywood

Balbutiant, de grands noms encore inconnus, du génie que la mémoire collective n’a pas retenu… Allez-y !  

 


 




 


 




YVONNE d'après Witold Gombrowicz / Compagnie Brûler Détruire

 


YVONNE

La dynamite du mutisme

Festival off d’Avignon – 2023

La Factory – Salle Tomasi / 20h50

Texte : d’après Witold Gombrowicz

Mise en scène : Chloé BOURHIS & Clément LE ROUX

Compagnie : Brûler Détruire

Yvonne est laide, empotée, timide, peureuse et ennuyeuse. Et c’est par rébellion contre les lois de la nature qui recommandent aux jeunes gens de n’aimer que les filles séduisantes que le fils du Roi la prend pour fiancée. Par crainte du scandale, la famille accepte les fiançailles. Mais la venue d’Yvonne à la cour devient rapidement encombrante. Sa seule présence suffit à faire tomber les masques et révèle peu à peu les monstres endormis en chacun. (Dossier de presse)

Yvonne, est une comédie tragique en quatre actes, écrite par Witold Gombrowicz en 1938 et créée en 1957 à Varsovie.

Nous avons tous fait l’expérience suivante dans notre vie au moins une fois : au cours d’un repas, d’une rencontre en famille, avec des amis, un silence survient et les voix des conversations et des échanges se taisent tout à coup. La gêne s’installe, et ce silence, si court fut-il, se transforme en un supplice insupportable… Un ange passe

Yvonne, qui donne son nom à la pièce du polonais Gombrowicz, est une jeune fille dont nous ne savons rien et qui surgit de nulle part au milieu d’une cour royale, parce que le prince, par provocation et désir d’affirmation, en tombe amoureux et la choisit pour épouse, imposant au roi et à la reine cet OVNI et l’introduisant ainsi au cœur de la cour comme un caillou dans une chaussure. Yvonne n’a rien pour plaire : elle est laide et surtout elle est obstinément muette du début à la fin. On ne sait si c’est par handicap ou par choix délibéré. De cette cour royale nous ne savons rien non plus. C’est une cour générique non située dans le temps et dans l’espace. Le décor hyper minimaliste n’évoque en rien les fastes d’un palais. Seul le chambellan rappelle à sa manière que nous nous trouvons dans la haute société. La couronne qui passe de tête en tête est dérisoire, ce n’est qu’un saladier en argent. A cette couronne dérisoire répond un autre élément essentiel de la scénographie : une bâche blanche qui passera d’un corps à l’autre jusqu’à évoquer, elle aussi de manière dérisoire, la robe de mariée d’Yvonne, scandaleusement choisie par le prince pour épouse. Un pianiste accompagne de sa musique classique certains moments de cette comédie tragique écrite et mise en scène pour impliquer le public, et il l’est à un moment précis de manière tout à fait concrète. Comme si les spectateurs constituaient la cour de ce royaume. La trajectoire du spectacle nous conduit de la noblesse de sentiments affichée par le couple royal à la bassesse des pulsions et des instincts. Yvonne, icone d’une martyre, agit comme un révélateur puissant de ce qui est caché et refoulé dans les entrailles de la noblesse qui tour à tour s’efforce d’être humaine tout en se révélant cruellement violente et bourreau de cette mystérieuse inconnue. L’insupportable silence d’Yvonne révèle en effet des sentiments inavoués et fait éclater les tabous dans les relations amoureuses et sexuelles qui se dévoilent peu à peu entre le roi, la reine, le prince et le majordome dans un excès de chaos. Le silence d’Yvonne transforme en effet les apparences policées de la cour et son étiquette en un chaos d’animalité, de bestialité. Le silence d’Yvonne fait remonter à la surface de la mémoire les souvenirs refoulés, les crimes d’antan. Le silence d’Yvonne fait monter la tension jusqu’au dénouement final… Ce spectacle ne peut que nous faire penser aux théories de l’avignonnais René Girard sur la violence.

La mise en scène et surtout le jeu très physique des acteurs sert d’une manière redoutable la pièce de Gombrowicz. Il me paraît important dans le contexte de cette remarque de citer in extenso ce qui est dit dans le dossier de presse de cette compagnie au drôle de nom, Brûler Détruire :

« Brûler Détruire », ce n’est pas une injonction à la violence, c’est un mantra, cela veut dire « lâcher-prise ». Deux mots que répétait notre professeur Jerzy Klesyk avant de monter sur scène. Ils nous rappellent que le théâtre est avant tout une histoire d’engagement, de corps et de groupe. Un lieu où nous pouvons être libres. À travers ce nom, nous exprimons notre engagement vers un théâtre visuel puissant dans une démarche esthétique pop et ambitieuse, à la recherche de l’insolite, de l’émerveillement et du chaos. Vers un théâtre physique, brûlant, incandescent, porté par le dévouement des acteurs, comme une danse passionnelle à l’humour grinçant entre tragédie et burlesque, cruauté et tendresse. Vers un théâtre investi, comme une fouille, une plongée en nous-mêmes en tant que communauté, en tant qu’individu. Enfin et surtout, vers un théâtre de troupe, porté par un groupe, par le plaisir et la douleur de jouer et de vivre ensemble. Au-delà de l’histoire contée, du divertissement, de l’émerveillement, au-delà des prouesses techniques et artistiques, au-delà du questionnement qu’il suscite, des secousses qu’il provoque, le Théâtre Brûler Détruire cherche à inventer de nouvelles manières de penser le collectif, l’humain et la création. « Se battre contre soi-même et non pas contre les autres », cela semble à contrecourant du monde, mais pourtant bien inscrit sur le fronton imaginaire de notre Théâtre invisible. Chaque atelier, chaque représentation du Théâtre Brûler Détruire sont une fenêtre ouverte sur cette recherche.

L’objectif stylistique de la compagnie, sa marque de fabrique, sont parfaitement palpables à la vision d’Yvonne. Oui, les comédiens incarnent à merveille un théâtre physique, brûlant, incandescent. Le qualificatif qui me vient à l’esprit serait puissant. Puissance de la mise en scène, puissance du jeu de chacun des comédiens, puissance de leur synergie, puissance à la fois physique et émotionnelle, puissance des corps, de la parole et du silence. On sort de ce spectacle comme un sort d’un concert de death Metal en s’exclamant : C’est puissant ! J’ai pris une claque ! Malgré la violence, ou peut-être en raison même du miroir de la tragédie, on prend plaisir à se prendre cette claque monumentale.

Je terminerai cette critique par une évocation de la figure de Jésus qui me vient à l’esprit en contemplant le personnage d’Yvonne, bouc-émissaire ou martyre selon le point de vue que l’on adopte. Yvonne me fait penser en effet à une prophétie d’Isaïe au chapitre 53 qui fut comprise par les premiers chrétiens comme une annonce du Christ souffrant de la Passion :

Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris… Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche.

Jean, dans le magnifique récit qu’il fait de la Passion du Christ, souligne le silence de Jésus face aux autorités, un silence qui le conduit vers sa propre mort :

Pilate rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » (Jean 19)

En Matthieu 26 nous retrouvons ce silence du Christ :

Alors le grand prêtre se leva et lui dit : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » Mais Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. »

Yvonne, figure christique ? Son surgissement de nulle part, son silence, ses souffrances comme la fin du spectacle peuvent en effet le suggérer…

 

 


vendredi 21 juillet 2023

HEUREUX LES ORPHELINS de Sébastien Bizeau / Théâtre de l'Oriflamme à 16h



 

J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout (Electre)

Puisque tu es si à l’aise avec les mots mais si peu avec la vérité (Electre à Oreste)

Electre, fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, sœur d'Iphigénie et d'Oreste, est l'une de grandes figures féminines de la mythologie grecque aux côtés d'Hélène et d'Antigone. C'est à partir de l'adaptation du mythe grec réalisée par Jean Giraudoux en 1937 que Sébastien Bizeau, auteur et metteur en scène, nous offre sa version contemporaine de la figure d'Electre. Giraudoux avait fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.

Création : Théâtre de l’Atelier (Paris) – 5 février, 16 mars et 11 avril 2022

Cette pièce vue dans le cadre du festival off d’Avignon au théâtre de l’Oriflamme est l’un de mes coups de cœur de cette édition 2023. Le texte à l’actualité percutante a une portée philosophique profonde quant à la valeur et à la puissance du langage humain. Il est magistralement interprété par les cinq comédiens.

Voici tout d’abord le synopsis de cette création issue du dossier de presse :

Le mythe d’Electre et Oreste aujourd’hui : une histoire de vengeance où les mots sont les armes Ce soir, Electre retrouve son frère Oreste, mais l’ombre de leur mère plongée dans le coma plane sur leurs retrouvailles. Cette nuit, un éclair va percer à travers les songes d’Electre, apportant une lumière nouvelle sur la disparition de leur père. Il n’atteindra pas Oreste, veillant pour écrire les éléments de langage attendus par son ministre pour défendre les pesticides. Demain, la voix d’Electre devra convaincre Oreste d’agir, et se frayer un chemin parmi les paroles vides de sens et les propos insaisissables auxquels elle se heurtera. Ce sera alors le moment de faire éclater la vérité, en opposant les mots qui révèlent au silence qui tue.

Trois des cinq acteurs qui tissent le drame de cette pièce antique, en habits contemporains et dans des situations qui nous interpellent, jouent plusieurs rôles, d’où la nécessité de donner dans un premier temps la distribution de ces rôles :

Jean-Baptiste GERMAIN : Rôles d'Egisthe, le ministre, le médecin, le prêtre et le livreur

Paul MARTIN : Rôles de Pylade, le serveur, le psy, le notaire et le second de cuisine

Cindy SPATH : Rôles de Clytemnestre, la secrétaire et l'employée du funérarium

Electre est interprétée par Maou Tulissi tandis que son frère Oreste est interprété par Matthieu le Goaster.

Le cœur thématique de cette adaptation d’Electre est la vérité, donc le langage qui peut être mis au service de cette même vérité ou au contraire au service du mensonge qui se démultiplie tel un cancer sous les figures de la propagande politique, du langage médical rempli d’euphémismes, du verbiage du psy, de la casuistique du notaire, de la langue de bois ecclésiastique, des discours préfabriqués des services des pompes funèbres ou encore de la communication d’entreprise. Dans le dossier de presse deux citations sont mises en exergue pour souligner cette importance essentielle de l’utilisation que nous, les humains, nous pouvons faire du langage qui devient ainsi une véritable arme :

Ce qui n'est pas nommé n'existe pas.

Mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde (Albert Camus).

Ce n’est évidemment pas par hasard que Pylade, l’ami d’Oreste dans la mythologie, le collaborateur du conseiller du ministre dans la pièce, tente de remettre la vérité (donc l’honnêteté et le respect de la parole donnée) au centre de la vie politique en voulant offrir au ministre un texte de George Orwell (Politique et langue anglaise)… Mais les ministres lisent-ils autre chose que des notes gouvernementales ou des éléments de langage fournis par leurs conseillers ? La figure du ministre est à ce titre une caricature malheureusement hyper réaliste qui nous plonge immédiatement dans la misère de la politique contemporaine. Au nom du principe de réalité[1] surtout ne rien faire, surtout ne rien changer même quand on l’a promis lors d’une campagne électorale[2], même lorsque l’on connaît l’urgence de ce changement (dans la pièce il s’agit de l’exemple des pesticides). Comment ne pas penser ici à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron concernant l’interdiction du glyphosate ? Et reniée ensuite dans les faits… Les échanges entre le ministre et son conseiller ne nous rappellent que trop ce que nous entendons à longueur de journée jusqu’à en avoir la nausée[3] à la radio et à la télévision de la part de nos dirigeants politiques : des éléments de langage[4], donc un langage creux, automatique, répétitif, prévisible, impersonnel et vidé de toute substance et de toute conviction[5], visant à justifier l’injustifiable et une novlangue mise au service du mensonge érigé en moyen habituel de communication gouvernementale[6]. Tout cela nous parle car nous en souffrons tous à l’exemple de Pylade qui croit encore pouvoir rectifier cet anéantissement du langage humain comme porteur de sens, de vérité et d’espérance. Surtout comme l’héroïne de la pièce Electre qui refuse avec toute la force de sa conscience[7] les mensonges et les compromissions de sa mère et de son amant Egisthe. Toute la pièce constitue en fait un hymne à la résistance des courageux dont Electre est l’incarnation lumineuse pour sauver le langage, la parole, les mots de la prise en otage et de l’asservissement dont ils font l’objet quotidiennement de la part des puissants, de la part de ceux qui ont droit à la parole et monopolisent l’espace public avec leurs éléments de langage mortifères. Mortifères en effet pour la vie démocratique d’un peuple… comment ne pas faire le lien avec l’abstention toujours plus grande, la grève des urnes ? Face au courage d’Electre, la lâcheté de son frère Oreste. Electre est dans cette pièce l’héroïne de la vérité et de la justice[8]. Et ce n’est pas par hasard que l’aumônier de l’hôpital lui adresse ces paroles prophétiques tirées des Béatitudes : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Comme l’affirme Sébastien Bizeau dans sa note d’intention :

On le constate au quotidien avec les éléments de langage en politique ou la novlangue managériale : le langage est devenu technique et son usage tactique. Or, comment dénoncer des faits sans que des mots ne les expriment ? Ce qui n'est pas nommé n'existe pas, et bien des combats sont ainsi anesthésiés. Et pour donner à voir la suprématie que confère aujourd’hui la maîtrise du langage, j’ai souhaité rejouer un mythe ancestral en substituant cette violence symbolique aux coups d’épée antiques. C’est ainsi que la pièce Heureux les orphelins vient placer cette réflexion dans l’arène d’un royaume d’Argos transposé à notre époque.

Quelques citations du texte donnant un aperçu de ce que sont les éléments de langage :

Pylade : Ce n’est pas tout à fait comme ça que ça s’est passé.

Oreste : Peut-être, mais c’est tout à fait comme ça qu’on va le raconter.

 

Pylade : Ton discours est complètement standardisé ! On pourrait l’appliquer à n’importe quelle situation.

Oreste : C’est le registre de la pédagogie.

Pylade : De la démagogie, plutôt. Qui ne cache pas le vide idéologique total dans lequel vous vous vautrez.

 

Clytemnestre : Nous travaillons à mutualiser certaines ressources, pour que des synergies se dégagent. Et peut-être que nous libérerons certains collaborateurs.

 

Ministre : Je ne dirais pas que c’est un échec. Je dirais que ça n’a pas marché. (Citation d’Emmanuel Macron, formule reprise par son ministre Olivier Dussopt).

Calmez-vous madame, ça va bien se passer. (Citation de Gérald Darmanin).

Il faut arrêter avec les discours populistes. (Citation de Gérald Darmanin).

J’ai beaucoup apprécié une technique de la mise en scène permettant la transition entre les différentes situations dans lesquelles certains personnages se transforment en d’autres, technique consistant à reprendre le mot de la dernière réplique au commencement d’une situation nouvelle. Comme l’écrit le metteur en scène :

Les transitions cut voient les derniers mots d'une séquence devenir les premiers de la scène suivante.

Le personnage du prêtre, aumônier d’hôpital, bien qu’ayant un rôle mineur, mérite que l’on s’y arrête un instant. La mère d’Electre, jamais nommée par son nom dans la pièce, est gravement malade et promise à une mort certaine. Sa fille pose donc à l’aumônier l’éternelle question du mal et de la souffrance, la question de la théodicée telle que Leibniz l’a exprimée de manière parfaitement limpide en latin : Si Deus est, unde malum ? Si Dieu est, d’où vient le mal ? Dans sa réponse le prêtre récite, lui aussi, des éléments de langage appris au séminaire mais qui ne convainquent finalement personne et certainement pas lui-même. Sur ce point le ministre du culte ressemble bien au ministre du président. Sa réponse n’en est pas vraiment une. Malgré cela il adresse à Electre la parole prophétique des Béatitudes mentionnée plus haut. Et surtout dans un second temps il nous présente Dieu comme celui qui parle par et dans le silence[9]. Il fait enfin de la théologie authentique. Et la pièce peut éventuellement nous mener vers la réflexion suivante : d’un côté nous avons le flot inconsistant des éléments de langage des politiciens, une abondance de mots vides qui irrite et sature l’esprit[10], de l’autre nous avons Dieu qui parle dans le silence, et son silence vaut infiniment plus que tous les discours préfabriqués des puissants, son silence apaise nos esprits et leur donne un espace de liberté. Cela rejoint la doctrine spirituelle du moine bénédiction John Main qui a mis au point une méthode de médiation chrétienne ayant pour but de faire advenir le silence intérieur chez celui qui médite pour que Dieu le remplisse de sa présence. La scène 12 dans laquelle le prêtre décrit la tragédie et implore le silence de Dieu s’inspire du Lamento du jardinier chez Giraudoux.

 

 



[1] Oreste : Je te présente le collègue avec qui je compose tous les jours : le principe de réalité. Pylade : Autrement dit : le renoncement. Oreste : Non, le pragmatisme.

Oreste : Tu as perdu le sens des réalités ! Pylade : C’est vous qui l’avez perdu en réduisant tout à des exercices de communication.

[2] Ministre : Les discours donnent une vision. Là, on est dans l’action. C’est fini, le temps des rêves… Une promesse non tenue n’est pas un mensonge.

[3] Pylade exprime bien ce sentiment de nausée face aux discours du ministre et d’Oreste : Rien n’les arrête quand ils commencent, s’ils savaient comme j’ai envie d’un peu de silence.

[4] Oreste : Je ne fais que des éléments de langage. Il n’y a pas mort d’homme.

[5] Pylade à Oreste : Le vide idéologique total dans lequel vous vous vautrez…                                                                 

[6] Pylade : En somme, le principal ennemi du langage clair, c’est l’hypocrisie. Le langage politique a pour fonction de rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et de donner à ce qui n’est que du vent une apparence de consistance.

[7] J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout (Electre).

[8] Electre : Il n’y a qu’une chose qui m’anime, Egisthe, c’est la justice… J’ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu’elles ont tardé une seconde. C’est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité. Elle est éternelle, mais ce n’est qu’un éclair.

[9] Je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence… C’est tellement plus probant. Ecoutez… Merci.

[10] Cf. Pylade : Rien n’les arrête quand ils commencent / S’ils savaient comme j’ai envie d’un peu de silence.


 

jeudi 20 juillet 2023

TOMA. A l'origine

 


TOMA. A l’origine

Je veux qu’on me voie

Festival off d’Avignon – 2023

Théâtre de l’Arrache-cœur / 22h30

Texte : Toma

Mise en scène : Sébastien Houbani - Toma

Compagnie : Furax

Entre seul en scène et musique, ce spectacle de Toma est un moment de pure grâce. Imaginez en effet les confessions de saint Augustin transposées dans la France contemporaine des banlieues. Toma, enfant et jeune de la banlieue parisienne, à la recherche de ses origines (qui est ma mère, qui est mon père ?), traumatisé par l’ignorance de l’origine, ne s’adresse pas à Dieu le Père comme Augustin mais à chacun des spectateurs, et il nous touche directement au cœur nous faisant communier au mystère de sa propre vie. Comme indiqué dans le programme du Off (page 91), c’est une prise de risque et une mise à nu totale née d’un besoin viscéral de se raconter. A travers les chansons de Toma accompagnées à la guitare et des récits autobiographiques, on revit avec l’artiste la trajectoire de vie qui l’a conduit de l’enfant de banlieue à l’artiste adulte. On passe ainsi avec lui d’une vie de galères et de colère, de ce besoin d’être vu et reconnu par les autres, à la maturité de l’adulte qui a trouvé dans l’expression artistique et dans la paternité sa rédemption et son salut, sa catharsis pour reprendre l’expression antique. Avec une très grande sensibilité et un talent réel pour le verbe poétique Toma nous transmet un magnifique message d’espérance. Il nous donne envie de croire en l’homme, car comme l’écrivait l’auteur spirituel suisse Maurice Zundel il est plus difficile de croire en l’homme que de croire en Dieu. La performance de Toma, c’en est réellement une, est un hymne à la vie. On ne sort pas indemne de ce spectacle sauf si l’on a un cœur de pierre… Mais l’artiste Toma est capable de briser nos cœurs les plus endurcis. On en sort réconcilié.  Immergés dans ce beau parcours humain, on en pleure d’émotion et de gratitude. Comme Augustin que je citais au début, Toma livre le secret de sa vie et de sa réconciliation avec lui-même et le monde. Ainsi qu’il est dit dans le programme du Off pour faire la paix en somme, pour faire la paix ensemble !

 


mardi 18 juillet 2023

MARTYR de Marius von Mayenburg / Mise en scène: Olivier Peigné

 


MARTYR

Le fondamentalisme comme anti-humanisme

Festival off d’Avignon – 2023 (jusqu’au 22 juillet)

La petite caserne / 19h15

Texte : Marius von Mayenburg

Mise en scène : Olivier Peigné

Compagnie : Infamily

Olivier Peigné, comédien, metteur en scène et enseignant au cours Florent, a mis en scène pour cette édition 2023 du festival d’Avignon un texte écrit en 2012 par l’allemand Marius von Mayenburg.  C’était pour lui une évidence que de réaliser ce travail avec une troupe d’acteurs amateurs et professionnels autour du thème du fanatisme religieux. Le pitch de la pièce de Mayenburg est extrêmement simple : Un adolescent révolté qui cherche des raisons à son existence et va mettre en danger son environnement familial, scolaire et amical par fanatisme religieux. Le décor est tout aussi simple : on passe sans cesse de l’univers du lycée (table et chaises) à celui du foyer de Benjamin (table et chaises) qui vit seul avec sa mère. Un objet, omniprésent, sert de fil rouge au récit qui tend en se déroulant vers le drame : un livre. Celui de la Bible que Benjamin tient toujours entre ses mains et dont il ne cesse de citer les versets les plus tranchants, les plus violents, les plus radicaux pour affirmer détenir la vérité à la face d’un monde pourri et perdu, condamné à la colère de Dieu et à la damnation, le monde de sa mère divorcée et celui de ses professeurs enseignant la théorie de l’évolution et délivrant des cours d’éducation sexuelle… Ce livre se retrouve, dans une autre édition, dans les mains de sa professeure désemparée face à l’attitude de son élève. Pour mieux le comprendre elle se met, elle aussi, à l’étude de la Bible. Et ce faisant menace sa relation de couple. MARTYR incarne cette redoutable question philosophique parfois proposée au bac de philo : peut-on, doit-on, tolérer l’intolérable ? La prof de Benjamin refuse de devenir tout aussi intolérante que son élève mais en vain… Il y aussi le prof de religion (nous sommes en Allemagne), personnage assez inconsistant, qui tente, bien maladroitement, de remettre le jeune lycéen dans le droit chemin puis le proviseur qui veut surtout éviter tout conflit mais qui, peu à peu, cède au terrorisme religieux de Benjamin… Ce dernier, magistralement interprété par Gary Hubert, est le centre absolu de l’action. Tout tourne en effet autour de lui (il se fait idole). Son excès de religiosité mal intégrée et mal comprise lui donne un pouvoir sur son ami (handicapé donc rejeté par les autres élèves), sur sa mère et ses professeurs. Il devient un manipulateur et un petit dictateur qui veut imposer à tous sa vision de la Parole de Dieu. Quitte à utiliser violence et menaces… MARTYR nous montre le propre de tout fanatisme religieux : la raison n’a plus aucune place aux côtés de la foi. Car à chacun des versets cités par Benjamin pour justifier son radicalisme et sa haine du monde pécheur, on pourrait objecter un autre verset de la Bible allant dans un sens tout différent (ce que tente de faire sa prof), ce qui créerait l’équilibre de la vérité biblique. Benjamin illustre ici le fidéisme (la foi sans la raison, la foi contre la raison), doctrine condamnée par l’Eglise catholique lors du concile Vatican I. Comment ne pas penser ici à la métaphore par laquelle commence l’encyclique La foi et la raison (1998) du pape Jean-Paul II ? La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. Benjamin utilise la Bible comme si c’était un catéchisme, ce que n’est pas ce livre extrêmement complexe et nécessitant comme toute œuvre littéraire une interprétation et une remise du texte dans son contexte historique. Surtout il utilise la Bible comme une arme, comme un moyen d’agresser Juifs, homosexuels etc. Benjamin incarne encore davantage ce que l’on appelle le fondamentalisme biblique. Chaque verset de la Bible étant perçu comme une parole venant directement de Dieu sans aucune médiation humaine, il faut obéir sans discuter, sans chercher à comprendre. Bref c’est le danger d’une lecture littérale de la Bible, lecture particulièrement populaire au sein des églises/sectes américaines de type évangélique, qui se sont répandues dans le monde entier à coups de dollars, où à la radicalité du discours s’associe « les miracles de guérison », ce que l’on retrouve parfaitement dans ce spectacle. Ne pensons cependant pas que les Eglise traditionnelles (Catholique, Protestantes et Orthodoxes) soient totalement préservées de cette dérive fondamentaliste qui ne peut que déboucher sur le fanatisme. L’intégrisme catholique en est une variante bien contemporaine dans notre pays, c’est le fondamentalisme de la Tradition. On perçoit bien dans le parcours de ce jeune lycéen comment la religion chrétienne qui prône l’humilité, le service et l’amour du prochain, l’ouverture universelle à tous, peut se travestir en un pharisaïsme orgueilleux qui prend plaisir à condamner et à juger. Ou comment un certain christianisme peut devenir anti-évangélique, opposé aux enseignements du Christ. De cette décision de Benjamin de faire sécession d’avec un monde considéré comme pourri naît la violence, le désir de supprimer ce monde qui « n’obéit pas à Dieu ». Tout le contraire de ce que le Concile Vatican II (1962-1965) a affirmé dans sa constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes). Benjamin se présente sous la posture d’un martyr de la foi, mais comme tout fanatique, c’est lui qui martyrise son entourage en refusant tout dialogue, en refusant d’entendre raison. Le drame de ce récit, d’un réalisme saisissant, consiste dans le fait que l’évolution de ce lycéen l’a rendu incapable d’entendre une autre voix que la sienne (les versets de la Bible avec lesquels il assomme son entourage à longueur de journée sont-ils autre chose que la projection de ses propres pulsions ?). La descente aux enfers du jeune homme correspond avec le fait qu’aucun discours rationnel n’a de prise de lui. Benjamin finit par se déshumaniser… Il aurait pu ouvrir sa Bible au chapitre 8 de saint Jean et se laisser toucher par le message de miséricorde de Jésus, venu non pas pour condamner mais pour sauver…

Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »