dimanche 27 juillet 2025

POUR UN OUI OU POUR UN NON (Sarraute)

 


POUR UN OUI OU POUR UN NON

L’amitié à l’épreuve du langage

Festival Off d’Avignon – 2025

Théâtre du Cabestan / 10h

Texte : Nathalie Sarraute

Mise en scène : Bruno Dairou

La compagnie des perspectives

Comment faire basculer une amitié en un instant, pour presque rien, un mot, une intonation ?

“Pour un oui ou pour un non” est un chef-d’œuvre de Nathalie Sarraute : deux amis proches, pour une expression maladroitement employée, déclenchent une guerre qui met en cause leur amitié, leur partage, leur complicité. Les mots se chargent de comique, de tragique, de ridicule et d’absurde pour aboutir à un échange verbal qui fait de ce texte une tragi-comédie contemporaine unique. (Programme du Off)

Pour un oui ou pour un non est la pièce de théâtre la plus jouée de Nathalie Sarraute (1900-1999). Elle fut créée en 1981 et publiée en 1982. Nathalie Sarraute reçut en 1987 le Molière de l’auteur francophone pour cette pièce.

Pour un oui ou pour un non aborde des thèmes essentiels de notre vie humaine tels que l’amitié et le langage. La pièce nous confronte à la fragilité d’une relation que l’on estime généralement être l’une des plus solides et des plus belles que nous puissions expérimenter : l’amitié, ici entre deux hommes. Il suffit en effet d’une parole, et surtout d’une certaine manière de la prononcer, d’une intonation, d’un silence entre deux mots, pour tout remettre en question… Le langage humain a ce double pouvoir : créer de la communion, de l’échange, du dialogue, ou bien séparer, éloigner, établir des barrières. Personne ne nous a donné le mode d’emploi du langage, et chacun de nous doit se débrouiller comme il le peut avec cet outil ambigu. Ce que nous pensons vouloir exprimer peut être perçu par l’autre d’une manière radicalement différente. Et puis le langage humain n’est pas seulement affaire de raison, nous ne pouvons pas en avoir le contrôle à 100%, il y entre aussi beaucoup d’émotions et d’inconscient. C’est tout cela que nous ressentons dans la magnifique pièce de Nathalie Sarraute. Le fil rouge du langage ouvre au fur et à mesure du jeu des deux comédiens, Pablo Chevalier et Josselin Girard, de nouvelles perspectives de réflexion. Une amitié peut-elle exister et se maintenir vivante entre deux hommes aux conditions sociales différentes, aux visions de l’existence divergentes ? Amitié et différences sont-elles compatibles ? Celui qui s’éloigne de son ami en raison de la simple phrase « C’est bien… ça » prononcée, d’après lui, avec condescendance est un poète, un marginal, alors que son ami semble être un bourgeois bien installé dans la vie avec femme et enfants… Ici pas d’alliance possible entre le bourgeois et le bohème. Celui qui se fâche contre son ami a visiblement un besoin viscéral de reconnaissance alors que son ami rayonne simplement le bonheur de son existence. La pièce de Nathalie Sarraute nous parle aussi de susceptibilité, de jalousie et d’envie. Celui qui se sent maltraité peut ainsi s’absoudre pour sa jalousie rentrée en invoquant la condescendance de l’ami heureux. Cela évoque une sentence du livre de Qohèleth dans l’Ancien Testament : Je vois que tout travail et toute réussite ne sont que jalousie de l’un pour l’autre. Illusion, tout cela est illusion et poursuite de vent (4, 4).

Le fil rouge n’en demeure pas moins à mon sens celui du langage. Pour un oui ou pour un non met en évidence une certaine incommunicabilité entre humains, une souffrance de ne pouvoir communiquer entre nous en vérité. Est-ce, pour citer à nouveau Qohèleth, parce que Dieu a fait l’homme simple mais que l’homme aime les complications ? (7, 29). Même si cela n’est pas dit, on a l’impression que cette incommunicabilité, même entre amis, provient d’un mal profond qui a son origine dans le cœur de l’homme. Nous utilisons le langage à la manière d’un malade qui utilise, comme il le peut et de manière très limitée, les capacités de son corps. Il peut ressortir de la pièce de Sarraute la question philosophique suivante, au-delà de celle de la possibilité même d’une amitié durable : Pouvons-nous utiliser le don du langage pour communiquer en vérité entre nous et dialoguer sans nous offenser mutuellement, si préalablement nous ne guérissons pas notre cœur malade ? Comment ne pas penser dans ce contexte à la parole radicale de Jésus que nous trouvons dans l’Evangile selon saint Matthieu ? Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais. (5, 37)

Avec Dans la solitude des champs de coton (Koltès) la Compagnie des Perspectives nous offre au théâtre du Cabestan deux grands moments de théâtre qui ont pour point commun l’incommunicabilité entre deux personnes, dans un cas des personnes qui ne se connaissent pas (Koltès) et dans la pièce de Sarraute des amis. Le metteur en scène Bruno Dairou a su avec talent mettre en valeur ces deux beaux textes. Le jeu des comédiens de Pour un oui ou pour un non est excellent et convaincant. Le spectateur sort comblé de la salle car Pablo Chevalier et Josselin Girard ont su nous communiquer avec brio leur passion pour cette pièce nous parlant d’un bout à l’autre de la grande difficulté que nous avons à communiquer entre nous ! Paradoxe et privilège du théâtre ?

 

 


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