ROBERTO
ZUCCO
L’énergie
du désespoir
Festival
Off d’Avignon – 2025
Théâtre
du Girasole / 22h30
Texte :
Bernard-Marie Koltès
Mise en
scène : Rose Noël
Le
collectif 13
Une nuit, Roberto Zucco s’évade
de la prison dans laquelle il a été́ incarcéré́ pour le meurtre de son père.
Il va alors mener une cavale délirante où il y fera plusieurs rencontres,
toutes illustratrices de la quête d’identité de l’Homme. Alors qu’il est sans
cesse traqué par les inspecteurs, son visage d’ange ne fera qu’intriguer : «
Comment un garçon si beau peut-il agir ainsi ? ». Inspiré du véritable fait
divers, Roberto Zucco parle de la violence qui dort en chacun de nous et
questionne notre propre rapport à celle-ci. Zucco, c'est un anti-héros,
s’évadant de toutes les prisons physiques et mentales de notre société, qui
sous couvert de normalité, devient elle-même carcérale.
Qui sommes-nous ? Quelle place
trouver dans notre société́ ? Quelle est notre part de liberté́ ? Comment
répondre à notre soif de désir ? Les mots de Koltès tentent d’y répondre.
Cette histoire est une épopée que le personnage de Zucco, ainsi que ses
rencontres, traversent avec violence, poésie, peur, et désir. (Programme du
Off)
La dernière pièce de Koltès,
écrite en 1988, un an avant sa mort à cause du sida, et créée en 1990, s’inspire
d’un fait réel : l’histoire du tueur en série italien Roberto Succo
(1962-1988). Elle a suscité en France une polémique au moment de sa création,
les faits étant encore récents.
Le Collectif 13 fait jouer 12
comédiens et musiciens sur la vaste scène du théâtre du Girasole dans une
mise en scène remarquable de Rose Noël. Malgré la multitude des comédiens
deux personnages sont au centre de l’action : bien sûr Roberto Zucco
lui-même et une jeune fille, la gamine, qui est amoureuse de lui, et part à sa
recherche dans le « petit Chicago ». Un point commun les lie :
un rapport difficile à la famille que ce soient les parents, les frères ou les
sœurs. Pour Roberto comme pour la « gamine » la famille est une
espèce de prison qui les prive de leur liberté. Ce sont donc deux révoltés qui
se rencontrent et s’attirent comme des aimants. L’entrée dans le spectacle est
fort originale et le public est invité à monter sur scène pour danser et à
participer à l’action qui initie le récit de « la cavale délirante »
de Roberto. La mise en scène fait se succéder une série de tableaux avec des
intermèdes musicaux de très grande qualité dans lesquels la langue
italienne n’est pas oubliée, ce qui ne gâche rien, bien au contraire ! Une
fois le prologue achevé le premier tableau est saisissant. Deux gardiens de
prison dont les torches sont l’unique source de lumière se déplacent et
occupent tout l’espace du théâtre sans omettre les côtés de la partie
spectateurs, ce qui crée un effet magique et inclusif. Ils assistent,
impuissants, à l’évasion de Roberto qui tel un nouveau Spiderman semble
suspendu au plafond du théâtre. Remarquable performance du comédien Axel
Granberger qui se fait acrobate et nous émerveille. La mise en scène utilise
avec génie non seulement tout l’espace du théâtre mais aussi l’extérieur en
faisant passer par les portes de gauche et de droite les comédiens,
apparaissant et disparaissant au gré de l’action. Cette mise en scène forte et
convaincante est donc très dynamique même si elle sait aussi utiliser les
symboles, comme la cage dans laquelle Roberto est enfermé dans le tableau final
ou encore les vêtements suspendus. Cette pièce nous parle de l’oppression que
nous pouvons parfois ressentir et du désir de liberté qui habite le cœur de
tout homme. Elle nous parle aussi d’une psyché humaine qui fait d’un beau jeune
homme un tueur en série allant jusqu’à exécuter son père et sa mère. Elle nous
montre ce déferlement de violence dont est capable un homme traqué, poursuivi,
à l’instar d’une bête poursuivie par des chiens et des chasseurs. Elle nous
montre avec sobriété comment la violence engendre la violence dans une spirale
mortifère. Il y a bien sûr la violence du tueur mais celle, psychologique,
exercée par la famille, n’en est pas moins bien palpable. Rose Noël a su
traiter un thème sombre à la manière d’une fête. Ce drame a des allures de
bacchanales et Roberto tel un Dionysos contemporain entraîne dans son thiase
les personnes qui gravitent autour de lui jusqu’au dénouement de l’action. La
performance du rôle-titre (Axel Granberger) est époustouflante de vitalité et
d’énergie.
Bref il s’agit d’une remarquable
interprétation et mise en scène de l’ultime pièce de Koltès par le Collectif 13
qui en fait un équivalent contemporain des grandes tragédies antiques dans le
style de Sénèque.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire