lundi 28 juillet 2025

ROBERTO ZUCCO (Koltès)

 


ROBERTO ZUCCO

L’énergie du désespoir

Festival Off d’Avignon – 2025

Théâtre du Girasole / 22h30

Texte : Bernard-Marie Koltès

Mise en scène : Rose Noël

Le collectif 13

Une nuit, Roberto Zucco s’évade de la prison dans laquelle il a été́ incarcéré́ pour le meurtre de son père. Il va alors mener une cavale délirante où il y fera plusieurs rencontres, toutes illustratrices de la quête d’identité de l’Homme. Alors qu’il est sans cesse traqué par les inspecteurs, son visage d’ange ne fera qu’intriguer : « Comment un garçon si beau peut-il agir ainsi ? ». Inspiré du véritable fait divers, Roberto Zucco parle de la violence qui dort en chacun de nous et questionne notre propre rapport à celle-ci. Zucco, c'est un anti-héros, s’évadant de toutes les prisons physiques et mentales de notre société, qui sous couvert de normalité, devient elle-même carcérale.

Qui sommes-nous ? Quelle place trouver dans notre société́ ? Quelle est notre part de liberté́ ? Comment répondre à notre soif de désir ? Les mots de Koltès tentent d’y répondre. Cette histoire est une épopée que le personnage de Zucco, ainsi que ses rencontres, traversent avec violence, poésie, peur, et désir. (Programme du Off)

La dernière pièce de Koltès, écrite en 1988, un an avant sa mort à cause du sida, et créée en 1990, s’inspire d’un fait réel : l’histoire du tueur en série italien Roberto Succo (1962-1988). Elle a suscité en France une polémique au moment de sa création, les faits étant encore récents.

Le Collectif 13 fait jouer 12 comédiens et musiciens sur la vaste scène du théâtre du Girasole dans une mise en scène remarquable de Rose Noël. Malgré la multitude des comédiens deux personnages sont au centre de l’action : bien sûr Roberto Zucco lui-même et une jeune fille, la gamine, qui est amoureuse de lui, et part à sa recherche dans le « petit Chicago ». Un point commun les lie : un rapport difficile à la famille que ce soient les parents, les frères ou les sœurs. Pour Roberto comme pour la « gamine » la famille est une espèce de prison qui les prive de leur liberté. Ce sont donc deux révoltés qui se rencontrent et s’attirent comme des aimants. L’entrée dans le spectacle est fort originale et le public est invité à monter sur scène pour danser et à participer à l’action qui initie le récit de « la cavale délirante » de Roberto. La mise en scène fait se succéder une série de tableaux avec des intermèdes musicaux de très grande qualité dans lesquels la langue italienne n’est pas oubliée, ce qui ne gâche rien, bien au contraire ! Une fois le prologue achevé le premier tableau est saisissant. Deux gardiens de prison dont les torches sont l’unique source de lumière se déplacent et occupent tout l’espace du théâtre sans omettre les côtés de la partie spectateurs, ce qui crée un effet magique et inclusif. Ils assistent, impuissants, à l’évasion de Roberto qui tel un nouveau Spiderman semble suspendu au plafond du théâtre. Remarquable performance du comédien Axel Granberger qui se fait acrobate et nous émerveille. La mise en scène utilise avec génie non seulement tout l’espace du théâtre mais aussi l’extérieur en faisant passer par les portes de gauche et de droite les comédiens, apparaissant et disparaissant au gré de l’action. Cette mise en scène forte et convaincante est donc très dynamique même si elle sait aussi utiliser les symboles, comme la cage dans laquelle Roberto est enfermé dans le tableau final ou encore les vêtements suspendus. Cette pièce nous parle de l’oppression que nous pouvons parfois ressentir et du désir de liberté qui habite le cœur de tout homme. Elle nous parle aussi d’une psyché humaine qui fait d’un beau jeune homme un tueur en série allant jusqu’à exécuter son père et sa mère. Elle nous montre ce déferlement de violence dont est capable un homme traqué, poursuivi, à l’instar d’une bête poursuivie par des chiens et des chasseurs. Elle nous montre avec sobriété comment la violence engendre la violence dans une spirale mortifère. Il y a bien sûr la violence du tueur mais celle, psychologique, exercée par la famille, n’en est pas moins bien palpable. Rose Noël a su traiter un thème sombre à la manière d’une fête. Ce drame a des allures de bacchanales et Roberto tel un Dionysos contemporain entraîne dans son thiase les personnes qui gravitent autour de lui jusqu’au dénouement de l’action. La performance du rôle-titre (Axel Granberger) est époustouflante de vitalité et d’énergie.

Bref il s’agit d’une remarquable interprétation et mise en scène de l’ultime pièce de Koltès par le Collectif 13 qui en fait un équivalent contemporain des grandes tragédies antiques dans le style de Sénèque.

 

 

 


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