dimanche 30 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: J'ai rendez-vous avec Molière / Mozart vs Mozart


Mon coup de cœur de ce festival !

Il n’est pas nécessaire d’en dire beaucoup sinon que le texte fouillé est d’une grande finesse littéraire et historique, que l’osmose entre la personnalité, l’âme et le génie de Molière est totale et surtout que l’acteur joue et dit si bien qu’il nous emmène avec lui à la rencontre de celui qui a donné son nom à notre langue… Une prestation magnifique où les amoureux de ce français que certains écorchent ou mutilent retrouve son absolue beauté, celle que le siècle de Molière avait faite régner sur le monde, époque où le beau, le vrai, le juste étaient au goût du jour et que « notre langue belle » (Yves Duteil), incarne si bien ! Merci et bravo monsieur Kalfa et madame Konopka !



Un adorable spectacle musical, certes ! Mais beaucoup de talent dans cette famille belge qui présente avec humour une vie de Mozart revisitée avec drôlerie ! Un très bon moment et un grand bravo à chacun pour la qualité des interprétations avec de très différents instruments !

 




samedi 29 juillet 2023

Ironie de l'histoire / Réda Seddiki

 


Ironie de l’histoire / Réda Seddiki

Le grand magicien des mots et du verbe

Festival off d’Avignon – 2023

La comédie d’Avignon / 17h30

Texte : Réda Seddiki

J’ai découvert le Stand-up Ironie de l’histoire écrit et magistralement interprété par Réda Seddiki lors de l’édition 2022 du festival off d’Avignon. Entre les deux festivals nous nous sommes revus à Paris. J’y suis retourné cette année. Dans ce spectacle d’humour finement ciselé Réda se révèle un magicien des mots. Son amour de la littérature et du langage, son amour des langues (son éloge de la langue algérienne en témoigne), il l’a emmené avec lui depuis sa terre natale, l’Algérie, jusqu’en France, à Paris. On entend parler de tranches de vie en Algérie puis en France. Ce spectacle, largement autobiographique, nous élève par le rire et l’autodérision, surtout par une belle maîtrise de la langue et beaucoup d’émotion, dans les vastes domaines de la pensée et de la réflexion. On y parle de bureaucratie, de frontières, de racisme, de politique, de portes fermées qui pourraient être ouvertes, de religions,  de traditions, de famille, de littérature et de langue, d’amour, de cuisine (et si on remplaçait les mots arabe par couscous, italien par pizza etc. ?) mais surtout de culture. Quelques extraits pour donner le ton du spectacle :

On n’est pas mauvais, c’est juste qu’on se protège tellement qu’on laisse à personne l’occasion de faire de bonnes choses. Ce passage sur les portes fermées (et l’obsession sécuritaire de manière plus générale) qui « empêchent les inconnus d’entrer chez vous pour y faire une bonne action » m’a fait penser au magnifique film coréen Locataires de Kim Ki-Duk (2005).

Sur la relation parents-enfants :

Pendant longtemps c’est les parents qui apprennent des choses à leurs enfants, puis vient un moment où c’est les enfants qui apprennent des choses à leurs parents, et c’est ce switch-là qui fait si la relation est bonne ou pas.

Je dis : Il y a tellement de conflits géopolitiques qu’il faut mettre la culture au cœur de l’identité. Il ne faut plus dire son pays mais un élément culturel de son pays. C’est beau la musique, il n’y a pas de clivage, pas de haine, pas de guerre. Personne ne va bombarder le Québec pour récupérer Céline Dion.

S’il faut mettre la culture au cœur de l’identité, c’est bien la culture qui est au cœur de L’ironie de l’histoire. Le stand-up de Réda est en effet un hymne à la culture comme moyen exceptionnel de relier les hommes entre eux par-delà les frontières et les identités nationales. La culture comme moyen de dialogue, donc de réconciliation, de compréhension mutuelle et de paix. L’exemple de la musique me fait penser à un groupe israélien de Metal, Orphaned Land, qui affirme avec fierté rassembler dans ses concerts Juifs et Palestiniens, Juifs et Arabes.

Le Figaro parle de Réda en utilisant la belle métaphore pascalienne du roseau pensant. Oui, le grand Réda a bien l’allure d’un roseau, et aucun doute à ce sujet, ce roseau est pensant. La finesse de son humour est mise au service de grandes et belles pensées. Si son spectacle nous fait rire d’un bout à l’autre, si l’émotion qu’il dégage est palpable, il a cette grande qualité de nous faire penser. Bref si on ressort non seulement heureux et comblés par cette magistrale interprétation, on quitte Réda avec le sentiment d’être moins bêtes (plus intelligents ?), et surtout plus humains. Ironie de l’histoire nous apporte en effet un message d’espérance et de paix. L’humour de Réda est toujours bienveillant et rempli d’amour. A son image…

Aujourd’hui, dans « Ironie de l’histoire », je n’ai plus d’opinions, mais des pensées, je ne cherche plus à prendre parti mais à prendre position, enfin je ne veux plus dénoncer mais démasquer. Faire tomber ces filtres que les sociétés imposent à chaque individu et explorer de nouveaux paradigmes de l’humour contemporain. Note d’intention de l’auteur.

Et si on se mettait à lire Anatole Algérie, Albert Kamel et Ferdinand Selim ?

 

 


vendredi 28 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: Les gens heureux ne tombent pas amoureux / Le prénom / Djobi comme Bach/

 


Une comédie dramatique bien écrite, des acteurs faisant passer les émotions et les vérités que nous révèle le texte sur les sentiments, l’égo et l’égoïsme, le carriérisme et l’ambition, la tendresse et l’amour… Ce que l’on croit être, ce que l’on voudrait être, ce que l’on désire et ce dont on rêve… Un excellent moment de théâtre d’où l’on sort en essuyant une larme, celle qui est venue à l’écoute des regrets tout en se demandant : « Et moi ? Qui suis-je ? Théo, Elsa ou Solange ?






 Cette comédie devenue un classique du théâtre de boulevard est interprétée avec maestria. Le texte est grinçant à souhait et remet toutes les pendules à l’heure pour chacun des spectateurs ! Une très bonne « comédie humaine » à voir absolument !



Toujours un grand plaisir de retrouver « la compagnie Swing’hommes » ! Cette année Jean-Sébastien Bach et Manitas de Plata sont à l’honneur pour un moment toujours trop court de virtuosité, humour et musique. Quand on les a vus une fois on y revient toujours ! Ils sont excellents et leur qualité musicale n’est plus à prouver ! Bravo !



De trader à comédien il n’y a qu’un pas si l’on en croit Fouad !! Il sait tout faire et bien !! Son humour est décapant ou émouvant, il prend le public à partie avec gentillesse, répartie et sarcasme mais toujours de bon ton. Un très agréable moment de rire et d’émotion à voir vite vite avant la fin du festival !


Un nouvel humoriste vraiment prometteur ! Un jeune que tous considèrent comme un intello présente ses problèmes pour prendre sa place dans la société dès son plus jeune âge car… « l’intello » personne ne veut le fréquenter !! jeux de mots, humour noir, intelligence perlent cette heure de bonne humeur pour petits et grands ! Une carrière à suivre !!


L’idée est bonne et le défi élevé ! Devos, l’UNIQUE, comment faire ? Le duo s’en sort bien, l’utilisation des textes est bien faite et ils tiennent le rythme !! La mise en scène des duos est bonne, en revanche ajouter « un ballet de mauvais goût » gâte la sauce et l’intro, les coupures par le troisième larron n’apportent rien au spectacle et, à mon avis, n’étaient pas nécessaires entre les lignes du grand Raymond ! Bon spectacle malgré tout car les deux compères sont au top !                                                           

 


 


 


 


 

mardi 25 juillet 2023

Critiques écrites par Marie Jaurto: Mon Tchaïkovski / Colette de l'autre côté du miroir / Les parents viennent de Mars, les enfants... du Mc Do/

 


Une histoire improbable pour les artistes d’aujourd’hui : une femme très fortunée tombe platoniquement amoureuse d’un compositeur déjà célèbre et lui accorde, sans jamais souhaiter le rencontrer pour préserver « son rêve », un confort financier absolu durant de très nombreuses années. Ils ont échangé beaucoup de lettres et ces dernières composent le texte de ce moment de romantisme absolu. La pianiste offre un Tchaïkovski puissant ou tendre, violent ou amoureux selon les lignes rédigées par lui ou Nadeja Philaretovna lit avec un charme mesuré, une colère retenue, un envoutement pondéré et un chagrin d’une grande dignité. Moment raffiné où mots et notes se mêlent pour un voyage que l’on voudrait poursuivre …



Quand on s’assied avant les trois coups, on se demande ce qui va se passer avec la sorte d’échafaudage qui trône sur la scène. Puis Colette commence à dérouler sa vie et tout en parlant avec la justesse d’une actrice « en fin de carrière », débobine, fait filer, serpenter, évoluer à travers les tubes de cette charpente toute la vie de cet écrivain aux multiples talents. Comme elle, elle mime, danse, se contorsionne avec souplesse et élégance sans jamais lâcher le texte mais lui donnant toute sa force et son génie. La mise en scène est si juste que tout est ponctué pour permettre aux spectateurs de voir défiler devant lui la vie entière de Colette et d’être capable en sortant de la raconter sans en oublier le moindre détail. Beaucoup de charme, d’élégance, une palette de talents dont chaque couleur est utilisée par un pinceau précis dans la main d’un grand maître ! très beau spectacle !



Une comédie pour toute la famille ! Ceux qui n’auraient pas vu la société évoluer sont en une séance, remis au goût du jour ! Tout y est du pire au meilleur d’une jeunesse qui semble échapper aux parents mais qui, finalement, leur porte beaucoup d’amour quand ceux-ci font aussi tout pour les aimer et leur montrer cette tendresse.

Un papa énergique et qui fait tout ce qu’il peut … Il est un peu perdu face à la nouvelle génération mais il garde sa place et ne lâche rien !! Drôle et rondement menée cet épisode de « sociologie 2023 » redonne de l’espoir malgré tout : quand on aime on ne compte pas et la victoire est assurée !


Passionnant de suivre la vie aventureuse et tumultueuse de cette française qui est, eh oui, à l’origine du cinéma américain tel que nous l’apprécions aujourd’hui…. Bien installé dans la salle obscure, quand l’écran s’illumine du sigle GAUMOND PATHE, savons-nous qu’Alice Guy, totalement oubliée, est la créatrice du cinéma de fiction au sein de cette compagnie naissante en 1896 ?

Un instant de mélancolie au sein de tous ces personnages d’une époque riche en création et innovations de tous genre… Une très bonne pièce, biographie bien léchée et bien interprétée. Hollywood

Balbutiant, de grands noms encore inconnus, du génie que la mémoire collective n’a pas retenu… Allez-y !  

 


 




 


 




YVONNE d'après Witold Gombrowicz / Compagnie Brûler Détruire

 


YVONNE

La dynamite du mutisme

Festival off d’Avignon – 2023

La Factory – Salle Tomasi / 20h50

Texte : d’après Witold Gombrowicz

Mise en scène : Chloé BOURHIS & Clément LE ROUX

Compagnie : Brûler Détruire

Yvonne est laide, empotée, timide, peureuse et ennuyeuse. Et c’est par rébellion contre les lois de la nature qui recommandent aux jeunes gens de n’aimer que les filles séduisantes que le fils du Roi la prend pour fiancée. Par crainte du scandale, la famille accepte les fiançailles. Mais la venue d’Yvonne à la cour devient rapidement encombrante. Sa seule présence suffit à faire tomber les masques et révèle peu à peu les monstres endormis en chacun. (Dossier de presse)

Yvonne, est une comédie tragique en quatre actes, écrite par Witold Gombrowicz en 1938 et créée en 1957 à Varsovie.

Nous avons tous fait l’expérience suivante dans notre vie au moins une fois : au cours d’un repas, d’une rencontre en famille, avec des amis, un silence survient et les voix des conversations et des échanges se taisent tout à coup. La gêne s’installe, et ce silence, si court fut-il, se transforme en un supplice insupportable… Un ange passe

Yvonne, qui donne son nom à la pièce du polonais Gombrowicz, est une jeune fille dont nous ne savons rien et qui surgit de nulle part au milieu d’une cour royale, parce que le prince, par provocation et désir d’affirmation, en tombe amoureux et la choisit pour épouse, imposant au roi et à la reine cet OVNI et l’introduisant ainsi au cœur de la cour comme un caillou dans une chaussure. Yvonne n’a rien pour plaire : elle est laide et surtout elle est obstinément muette du début à la fin. On ne sait si c’est par handicap ou par choix délibéré. De cette cour royale nous ne savons rien non plus. C’est une cour générique non située dans le temps et dans l’espace. Le décor hyper minimaliste n’évoque en rien les fastes d’un palais. Seul le chambellan rappelle à sa manière que nous nous trouvons dans la haute société. La couronne qui passe de tête en tête est dérisoire, ce n’est qu’un saladier en argent. A cette couronne dérisoire répond un autre élément essentiel de la scénographie : une bâche blanche qui passera d’un corps à l’autre jusqu’à évoquer, elle aussi de manière dérisoire, la robe de mariée d’Yvonne, scandaleusement choisie par le prince pour épouse. Un pianiste accompagne de sa musique classique certains moments de cette comédie tragique écrite et mise en scène pour impliquer le public, et il l’est à un moment précis de manière tout à fait concrète. Comme si les spectateurs constituaient la cour de ce royaume. La trajectoire du spectacle nous conduit de la noblesse de sentiments affichée par le couple royal à la bassesse des pulsions et des instincts. Yvonne, icone d’une martyre, agit comme un révélateur puissant de ce qui est caché et refoulé dans les entrailles de la noblesse qui tour à tour s’efforce d’être humaine tout en se révélant cruellement violente et bourreau de cette mystérieuse inconnue. L’insupportable silence d’Yvonne révèle en effet des sentiments inavoués et fait éclater les tabous dans les relations amoureuses et sexuelles qui se dévoilent peu à peu entre le roi, la reine, le prince et le majordome dans un excès de chaos. Le silence d’Yvonne transforme en effet les apparences policées de la cour et son étiquette en un chaos d’animalité, de bestialité. Le silence d’Yvonne fait remonter à la surface de la mémoire les souvenirs refoulés, les crimes d’antan. Le silence d’Yvonne fait monter la tension jusqu’au dénouement final… Ce spectacle ne peut que nous faire penser aux théories de l’avignonnais René Girard sur la violence.

La mise en scène et surtout le jeu très physique des acteurs sert d’une manière redoutable la pièce de Gombrowicz. Il me paraît important dans le contexte de cette remarque de citer in extenso ce qui est dit dans le dossier de presse de cette compagnie au drôle de nom, Brûler Détruire :

« Brûler Détruire », ce n’est pas une injonction à la violence, c’est un mantra, cela veut dire « lâcher-prise ». Deux mots que répétait notre professeur Jerzy Klesyk avant de monter sur scène. Ils nous rappellent que le théâtre est avant tout une histoire d’engagement, de corps et de groupe. Un lieu où nous pouvons être libres. À travers ce nom, nous exprimons notre engagement vers un théâtre visuel puissant dans une démarche esthétique pop et ambitieuse, à la recherche de l’insolite, de l’émerveillement et du chaos. Vers un théâtre physique, brûlant, incandescent, porté par le dévouement des acteurs, comme une danse passionnelle à l’humour grinçant entre tragédie et burlesque, cruauté et tendresse. Vers un théâtre investi, comme une fouille, une plongée en nous-mêmes en tant que communauté, en tant qu’individu. Enfin et surtout, vers un théâtre de troupe, porté par un groupe, par le plaisir et la douleur de jouer et de vivre ensemble. Au-delà de l’histoire contée, du divertissement, de l’émerveillement, au-delà des prouesses techniques et artistiques, au-delà du questionnement qu’il suscite, des secousses qu’il provoque, le Théâtre Brûler Détruire cherche à inventer de nouvelles manières de penser le collectif, l’humain et la création. « Se battre contre soi-même et non pas contre les autres », cela semble à contrecourant du monde, mais pourtant bien inscrit sur le fronton imaginaire de notre Théâtre invisible. Chaque atelier, chaque représentation du Théâtre Brûler Détruire sont une fenêtre ouverte sur cette recherche.

L’objectif stylistique de la compagnie, sa marque de fabrique, sont parfaitement palpables à la vision d’Yvonne. Oui, les comédiens incarnent à merveille un théâtre physique, brûlant, incandescent. Le qualificatif qui me vient à l’esprit serait puissant. Puissance de la mise en scène, puissance du jeu de chacun des comédiens, puissance de leur synergie, puissance à la fois physique et émotionnelle, puissance des corps, de la parole et du silence. On sort de ce spectacle comme un sort d’un concert de death Metal en s’exclamant : C’est puissant ! J’ai pris une claque ! Malgré la violence, ou peut-être en raison même du miroir de la tragédie, on prend plaisir à se prendre cette claque monumentale.

Je terminerai cette critique par une évocation de la figure de Jésus qui me vient à l’esprit en contemplant le personnage d’Yvonne, bouc-émissaire ou martyre selon le point de vue que l’on adopte. Yvonne me fait penser en effet à une prophétie d’Isaïe au chapitre 53 qui fut comprise par les premiers chrétiens comme une annonce du Christ souffrant de la Passion :

Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris… Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche.

Jean, dans le magnifique récit qu’il fait de la Passion du Christ, souligne le silence de Jésus face aux autorités, un silence qui le conduit vers sa propre mort :

Pilate rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » (Jean 19)

En Matthieu 26 nous retrouvons ce silence du Christ :

Alors le grand prêtre se leva et lui dit : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » Mais Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. »

Yvonne, figure christique ? Son surgissement de nulle part, son silence, ses souffrances comme la fin du spectacle peuvent en effet le suggérer…

 

 


vendredi 21 juillet 2023

HEUREUX LES ORPHELINS de Sébastien Bizeau / Théâtre de l'Oriflamme à 16h



 

J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout (Electre)

Puisque tu es si à l’aise avec les mots mais si peu avec la vérité (Electre à Oreste)

Electre, fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, sœur d'Iphigénie et d'Oreste, est l'une de grandes figures féminines de la mythologie grecque aux côtés d'Hélène et d'Antigone. C'est à partir de l'adaptation du mythe grec réalisée par Jean Giraudoux en 1937 que Sébastien Bizeau, auteur et metteur en scène, nous offre sa version contemporaine de la figure d'Electre. Giraudoux avait fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.

Création : Théâtre de l’Atelier (Paris) – 5 février, 16 mars et 11 avril 2022

Cette pièce vue dans le cadre du festival off d’Avignon au théâtre de l’Oriflamme est l’un de mes coups de cœur de cette édition 2023. Le texte à l’actualité percutante a une portée philosophique profonde quant à la valeur et à la puissance du langage humain. Il est magistralement interprété par les cinq comédiens.

Voici tout d’abord le synopsis de cette création issue du dossier de presse :

Le mythe d’Electre et Oreste aujourd’hui : une histoire de vengeance où les mots sont les armes Ce soir, Electre retrouve son frère Oreste, mais l’ombre de leur mère plongée dans le coma plane sur leurs retrouvailles. Cette nuit, un éclair va percer à travers les songes d’Electre, apportant une lumière nouvelle sur la disparition de leur père. Il n’atteindra pas Oreste, veillant pour écrire les éléments de langage attendus par son ministre pour défendre les pesticides. Demain, la voix d’Electre devra convaincre Oreste d’agir, et se frayer un chemin parmi les paroles vides de sens et les propos insaisissables auxquels elle se heurtera. Ce sera alors le moment de faire éclater la vérité, en opposant les mots qui révèlent au silence qui tue.

Trois des cinq acteurs qui tissent le drame de cette pièce antique, en habits contemporains et dans des situations qui nous interpellent, jouent plusieurs rôles, d’où la nécessité de donner dans un premier temps la distribution de ces rôles :

Jean-Baptiste GERMAIN : Rôles d'Egisthe, le ministre, le médecin, le prêtre et le livreur

Paul MARTIN : Rôles de Pylade, le serveur, le psy, le notaire et le second de cuisine

Cindy SPATH : Rôles de Clytemnestre, la secrétaire et l'employée du funérarium

Electre est interprétée par Maou Tulissi tandis que son frère Oreste est interprété par Matthieu le Goaster.

Le cœur thématique de cette adaptation d’Electre est la vérité, donc le langage qui peut être mis au service de cette même vérité ou au contraire au service du mensonge qui se démultiplie tel un cancer sous les figures de la propagande politique, du langage médical rempli d’euphémismes, du verbiage du psy, de la casuistique du notaire, de la langue de bois ecclésiastique, des discours préfabriqués des services des pompes funèbres ou encore de la communication d’entreprise. Dans le dossier de presse deux citations sont mises en exergue pour souligner cette importance essentielle de l’utilisation que nous, les humains, nous pouvons faire du langage qui devient ainsi une véritable arme :

Ce qui n'est pas nommé n'existe pas.

Mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde (Albert Camus).

Ce n’est évidemment pas par hasard que Pylade, l’ami d’Oreste dans la mythologie, le collaborateur du conseiller du ministre dans la pièce, tente de remettre la vérité (donc l’honnêteté et le respect de la parole donnée) au centre de la vie politique en voulant offrir au ministre un texte de George Orwell (Politique et langue anglaise)… Mais les ministres lisent-ils autre chose que des notes gouvernementales ou des éléments de langage fournis par leurs conseillers ? La figure du ministre est à ce titre une caricature malheureusement hyper réaliste qui nous plonge immédiatement dans la misère de la politique contemporaine. Au nom du principe de réalité[1] surtout ne rien faire, surtout ne rien changer même quand on l’a promis lors d’une campagne électorale[2], même lorsque l’on connaît l’urgence de ce changement (dans la pièce il s’agit de l’exemple des pesticides). Comment ne pas penser ici à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron concernant l’interdiction du glyphosate ? Et reniée ensuite dans les faits… Les échanges entre le ministre et son conseiller ne nous rappellent que trop ce que nous entendons à longueur de journée jusqu’à en avoir la nausée[3] à la radio et à la télévision de la part de nos dirigeants politiques : des éléments de langage[4], donc un langage creux, automatique, répétitif, prévisible, impersonnel et vidé de toute substance et de toute conviction[5], visant à justifier l’injustifiable et une novlangue mise au service du mensonge érigé en moyen habituel de communication gouvernementale[6]. Tout cela nous parle car nous en souffrons tous à l’exemple de Pylade qui croit encore pouvoir rectifier cet anéantissement du langage humain comme porteur de sens, de vérité et d’espérance. Surtout comme l’héroïne de la pièce Electre qui refuse avec toute la force de sa conscience[7] les mensonges et les compromissions de sa mère et de son amant Egisthe. Toute la pièce constitue en fait un hymne à la résistance des courageux dont Electre est l’incarnation lumineuse pour sauver le langage, la parole, les mots de la prise en otage et de l’asservissement dont ils font l’objet quotidiennement de la part des puissants, de la part de ceux qui ont droit à la parole et monopolisent l’espace public avec leurs éléments de langage mortifères. Mortifères en effet pour la vie démocratique d’un peuple… comment ne pas faire le lien avec l’abstention toujours plus grande, la grève des urnes ? Face au courage d’Electre, la lâcheté de son frère Oreste. Electre est dans cette pièce l’héroïne de la vérité et de la justice[8]. Et ce n’est pas par hasard que l’aumônier de l’hôpital lui adresse ces paroles prophétiques tirées des Béatitudes : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Comme l’affirme Sébastien Bizeau dans sa note d’intention :

On le constate au quotidien avec les éléments de langage en politique ou la novlangue managériale : le langage est devenu technique et son usage tactique. Or, comment dénoncer des faits sans que des mots ne les expriment ? Ce qui n'est pas nommé n'existe pas, et bien des combats sont ainsi anesthésiés. Et pour donner à voir la suprématie que confère aujourd’hui la maîtrise du langage, j’ai souhaité rejouer un mythe ancestral en substituant cette violence symbolique aux coups d’épée antiques. C’est ainsi que la pièce Heureux les orphelins vient placer cette réflexion dans l’arène d’un royaume d’Argos transposé à notre époque.

Quelques citations du texte donnant un aperçu de ce que sont les éléments de langage :

Pylade : Ce n’est pas tout à fait comme ça que ça s’est passé.

Oreste : Peut-être, mais c’est tout à fait comme ça qu’on va le raconter.

 

Pylade : Ton discours est complètement standardisé ! On pourrait l’appliquer à n’importe quelle situation.

Oreste : C’est le registre de la pédagogie.

Pylade : De la démagogie, plutôt. Qui ne cache pas le vide idéologique total dans lequel vous vous vautrez.

 

Clytemnestre : Nous travaillons à mutualiser certaines ressources, pour que des synergies se dégagent. Et peut-être que nous libérerons certains collaborateurs.

 

Ministre : Je ne dirais pas que c’est un échec. Je dirais que ça n’a pas marché. (Citation d’Emmanuel Macron, formule reprise par son ministre Olivier Dussopt).

Calmez-vous madame, ça va bien se passer. (Citation de Gérald Darmanin).

Il faut arrêter avec les discours populistes. (Citation de Gérald Darmanin).

J’ai beaucoup apprécié une technique de la mise en scène permettant la transition entre les différentes situations dans lesquelles certains personnages se transforment en d’autres, technique consistant à reprendre le mot de la dernière réplique au commencement d’une situation nouvelle. Comme l’écrit le metteur en scène :

Les transitions cut voient les derniers mots d'une séquence devenir les premiers de la scène suivante.

Le personnage du prêtre, aumônier d’hôpital, bien qu’ayant un rôle mineur, mérite que l’on s’y arrête un instant. La mère d’Electre, jamais nommée par son nom dans la pièce, est gravement malade et promise à une mort certaine. Sa fille pose donc à l’aumônier l’éternelle question du mal et de la souffrance, la question de la théodicée telle que Leibniz l’a exprimée de manière parfaitement limpide en latin : Si Deus est, unde malum ? Si Dieu est, d’où vient le mal ? Dans sa réponse le prêtre récite, lui aussi, des éléments de langage appris au séminaire mais qui ne convainquent finalement personne et certainement pas lui-même. Sur ce point le ministre du culte ressemble bien au ministre du président. Sa réponse n’en est pas vraiment une. Malgré cela il adresse à Electre la parole prophétique des Béatitudes mentionnée plus haut. Et surtout dans un second temps il nous présente Dieu comme celui qui parle par et dans le silence[9]. Il fait enfin de la théologie authentique. Et la pièce peut éventuellement nous mener vers la réflexion suivante : d’un côté nous avons le flot inconsistant des éléments de langage des politiciens, une abondance de mots vides qui irrite et sature l’esprit[10], de l’autre nous avons Dieu qui parle dans le silence, et son silence vaut infiniment plus que tous les discours préfabriqués des puissants, son silence apaise nos esprits et leur donne un espace de liberté. Cela rejoint la doctrine spirituelle du moine bénédiction John Main qui a mis au point une méthode de médiation chrétienne ayant pour but de faire advenir le silence intérieur chez celui qui médite pour que Dieu le remplisse de sa présence. La scène 12 dans laquelle le prêtre décrit la tragédie et implore le silence de Dieu s’inspire du Lamento du jardinier chez Giraudoux.

 

 



[1] Oreste : Je te présente le collègue avec qui je compose tous les jours : le principe de réalité. Pylade : Autrement dit : le renoncement. Oreste : Non, le pragmatisme.

Oreste : Tu as perdu le sens des réalités ! Pylade : C’est vous qui l’avez perdu en réduisant tout à des exercices de communication.

[2] Ministre : Les discours donnent une vision. Là, on est dans l’action. C’est fini, le temps des rêves… Une promesse non tenue n’est pas un mensonge.

[3] Pylade exprime bien ce sentiment de nausée face aux discours du ministre et d’Oreste : Rien n’les arrête quand ils commencent, s’ils savaient comme j’ai envie d’un peu de silence.

[4] Oreste : Je ne fais que des éléments de langage. Il n’y a pas mort d’homme.

[5] Pylade à Oreste : Le vide idéologique total dans lequel vous vous vautrez…                                                                 

[6] Pylade : En somme, le principal ennemi du langage clair, c’est l’hypocrisie. Le langage politique a pour fonction de rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et de donner à ce qui n’est que du vent une apparence de consistance.

[7] J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout (Electre).

[8] Electre : Il n’y a qu’une chose qui m’anime, Egisthe, c’est la justice… J’ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu’elles ont tardé une seconde. C’est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité. Elle est éternelle, mais ce n’est qu’un éclair.

[9] Je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence… C’est tellement plus probant. Ecoutez… Merci.

[10] Cf. Pylade : Rien n’les arrête quand ils commencent / S’ils savaient comme j’ai envie d’un peu de silence.


 

jeudi 20 juillet 2023

TOMA. A l'origine

 


TOMA. A l’origine

Je veux qu’on me voie

Festival off d’Avignon – 2023

Théâtre de l’Arrache-cœur / 22h30

Texte : Toma

Mise en scène : Sébastien Houbani - Toma

Compagnie : Furax

Entre seul en scène et musique, ce spectacle de Toma est un moment de pure grâce. Imaginez en effet les confessions de saint Augustin transposées dans la France contemporaine des banlieues. Toma, enfant et jeune de la banlieue parisienne, à la recherche de ses origines (qui est ma mère, qui est mon père ?), traumatisé par l’ignorance de l’origine, ne s’adresse pas à Dieu le Père comme Augustin mais à chacun des spectateurs, et il nous touche directement au cœur nous faisant communier au mystère de sa propre vie. Comme indiqué dans le programme du Off (page 91), c’est une prise de risque et une mise à nu totale née d’un besoin viscéral de se raconter. A travers les chansons de Toma accompagnées à la guitare et des récits autobiographiques, on revit avec l’artiste la trajectoire de vie qui l’a conduit de l’enfant de banlieue à l’artiste adulte. On passe ainsi avec lui d’une vie de galères et de colère, de ce besoin d’être vu et reconnu par les autres, à la maturité de l’adulte qui a trouvé dans l’expression artistique et dans la paternité sa rédemption et son salut, sa catharsis pour reprendre l’expression antique. Avec une très grande sensibilité et un talent réel pour le verbe poétique Toma nous transmet un magnifique message d’espérance. Il nous donne envie de croire en l’homme, car comme l’écrivait l’auteur spirituel suisse Maurice Zundel il est plus difficile de croire en l’homme que de croire en Dieu. La performance de Toma, c’en est réellement une, est un hymne à la vie. On ne sort pas indemne de ce spectacle sauf si l’on a un cœur de pierre… Mais l’artiste Toma est capable de briser nos cœurs les plus endurcis. On en sort réconcilié.  Immergés dans ce beau parcours humain, on en pleure d’émotion et de gratitude. Comme Augustin que je citais au début, Toma livre le secret de sa vie et de sa réconciliation avec lui-même et le monde. Ainsi qu’il est dit dans le programme du Off pour faire la paix en somme, pour faire la paix ensemble !

 


mardi 18 juillet 2023

MARTYR de Marius von Mayenburg / Mise en scène: Olivier Peigné

 


MARTYR

Le fondamentalisme comme anti-humanisme

Festival off d’Avignon – 2023 (jusqu’au 22 juillet)

La petite caserne / 19h15

Texte : Marius von Mayenburg

Mise en scène : Olivier Peigné

Compagnie : Infamily

Olivier Peigné, comédien, metteur en scène et enseignant au cours Florent, a mis en scène pour cette édition 2023 du festival d’Avignon un texte écrit en 2012 par l’allemand Marius von Mayenburg.  C’était pour lui une évidence que de réaliser ce travail avec une troupe d’acteurs amateurs et professionnels autour du thème du fanatisme religieux. Le pitch de la pièce de Mayenburg est extrêmement simple : Un adolescent révolté qui cherche des raisons à son existence et va mettre en danger son environnement familial, scolaire et amical par fanatisme religieux. Le décor est tout aussi simple : on passe sans cesse de l’univers du lycée (table et chaises) à celui du foyer de Benjamin (table et chaises) qui vit seul avec sa mère. Un objet, omniprésent, sert de fil rouge au récit qui tend en se déroulant vers le drame : un livre. Celui de la Bible que Benjamin tient toujours entre ses mains et dont il ne cesse de citer les versets les plus tranchants, les plus violents, les plus radicaux pour affirmer détenir la vérité à la face d’un monde pourri et perdu, condamné à la colère de Dieu et à la damnation, le monde de sa mère divorcée et celui de ses professeurs enseignant la théorie de l’évolution et délivrant des cours d’éducation sexuelle… Ce livre se retrouve, dans une autre édition, dans les mains de sa professeure désemparée face à l’attitude de son élève. Pour mieux le comprendre elle se met, elle aussi, à l’étude de la Bible. Et ce faisant menace sa relation de couple. MARTYR incarne cette redoutable question philosophique parfois proposée au bac de philo : peut-on, doit-on, tolérer l’intolérable ? La prof de Benjamin refuse de devenir tout aussi intolérante que son élève mais en vain… Il y aussi le prof de religion (nous sommes en Allemagne), personnage assez inconsistant, qui tente, bien maladroitement, de remettre le jeune lycéen dans le droit chemin puis le proviseur qui veut surtout éviter tout conflit mais qui, peu à peu, cède au terrorisme religieux de Benjamin… Ce dernier, magistralement interprété par Gary Hubert, est le centre absolu de l’action. Tout tourne en effet autour de lui (il se fait idole). Son excès de religiosité mal intégrée et mal comprise lui donne un pouvoir sur son ami (handicapé donc rejeté par les autres élèves), sur sa mère et ses professeurs. Il devient un manipulateur et un petit dictateur qui veut imposer à tous sa vision de la Parole de Dieu. Quitte à utiliser violence et menaces… MARTYR nous montre le propre de tout fanatisme religieux : la raison n’a plus aucune place aux côtés de la foi. Car à chacun des versets cités par Benjamin pour justifier son radicalisme et sa haine du monde pécheur, on pourrait objecter un autre verset de la Bible allant dans un sens tout différent (ce que tente de faire sa prof), ce qui créerait l’équilibre de la vérité biblique. Benjamin illustre ici le fidéisme (la foi sans la raison, la foi contre la raison), doctrine condamnée par l’Eglise catholique lors du concile Vatican I. Comment ne pas penser ici à la métaphore par laquelle commence l’encyclique La foi et la raison (1998) du pape Jean-Paul II ? La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. Benjamin utilise la Bible comme si c’était un catéchisme, ce que n’est pas ce livre extrêmement complexe et nécessitant comme toute œuvre littéraire une interprétation et une remise du texte dans son contexte historique. Surtout il utilise la Bible comme une arme, comme un moyen d’agresser Juifs, homosexuels etc. Benjamin incarne encore davantage ce que l’on appelle le fondamentalisme biblique. Chaque verset de la Bible étant perçu comme une parole venant directement de Dieu sans aucune médiation humaine, il faut obéir sans discuter, sans chercher à comprendre. Bref c’est le danger d’une lecture littérale de la Bible, lecture particulièrement populaire au sein des églises/sectes américaines de type évangélique, qui se sont répandues dans le monde entier à coups de dollars, où à la radicalité du discours s’associe « les miracles de guérison », ce que l’on retrouve parfaitement dans ce spectacle. Ne pensons cependant pas que les Eglise traditionnelles (Catholique, Protestantes et Orthodoxes) soient totalement préservées de cette dérive fondamentaliste qui ne peut que déboucher sur le fanatisme. L’intégrisme catholique en est une variante bien contemporaine dans notre pays, c’est le fondamentalisme de la Tradition. On perçoit bien dans le parcours de ce jeune lycéen comment la religion chrétienne qui prône l’humilité, le service et l’amour du prochain, l’ouverture universelle à tous, peut se travestir en un pharisaïsme orgueilleux qui prend plaisir à condamner et à juger. Ou comment un certain christianisme peut devenir anti-évangélique, opposé aux enseignements du Christ. De cette décision de Benjamin de faire sécession d’avec un monde considéré comme pourri naît la violence, le désir de supprimer ce monde qui « n’obéit pas à Dieu ». Tout le contraire de ce que le Concile Vatican II (1962-1965) a affirmé dans sa constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes). Benjamin se présente sous la posture d’un martyr de la foi, mais comme tout fanatique, c’est lui qui martyrise son entourage en refusant tout dialogue, en refusant d’entendre raison. Le drame de ce récit, d’un réalisme saisissant, consiste dans le fait que l’évolution de ce lycéen l’a rendu incapable d’entendre une autre voix que la sienne (les versets de la Bible avec lesquels il assomme son entourage à longueur de journée sont-ils autre chose que la projection de ses propres pulsions ?). La descente aux enfers du jeune homme correspond avec le fait qu’aucun discours rationnel n’a de prise de lui. Benjamin finit par se déshumaniser… Il aurait pu ouvrir sa Bible au chapitre 8 de saint Jean et se laisser toucher par le message de miséricorde de Jésus, venu non pas pour condamner mais pour sauver…

Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »


lundi 17 juillet 2023

4 critiques écrites par Marie Jaurto

 


Si la gouaille du Montmartre de Lautrec et du Moulin Rouge ne vous font pas peur, ce spectacle de poche est pour vous. Le texte écrit par Sophie Garnaud est la quintessence même de l’époque : les femmes n’ont plus envie de n’être là que pour le plaisir des hommes ou que « la boniche » de tout le monde… Le cancan va donner à quelques pionnières une arme de charme pour se libérer. La rencontre de Jane Avril et Henri de Toulouse Lautrec, tous deux portant leur malheur et leur talent, change le regard du spectateur : les bas-fonds de la société parisienne montrent leurs âmes en exprimant d’un pas de danse dégourdi ou d’un coup de pinceau de génie que l’humain est beau, grand, vivant et mérite le respect. Ils jouent bien, ils sont bons, la justesse du texte et du ton vous emmène en 1890/92 …allez-y !




En 2023, la politique ne nous surprend plus… On a ENFIN compris où ILS voulaient nous emmener pour leur confort, leur profit, leur pouvoir, leurs bénéfices et j’en passe… On a ENFIN vu les magouilles, les mensonges, les tractations et manipulations qui installent les candidats qui sauront obéir et faire ce qu’il faut…

Séance endiablée, rythme impétueux pour évoquer sans concession un grand Jacques que beaucoup avaient peut-être imaginé plus sincère …. Il aimait les pommes et les vaches…. Mais qui depuis ses jeunes années savourait le froissement des billets à ses oreilles…

Un bon spectacle qui mériterait une salle plus grande et plus confortable pour le plaisir complet des spectateurs mais qui fait défiler avec humour, sarcasme et ironie la liste de ceux qui font tout pour eux et rien pour nous !




Le pari proposé : prouver que la langue française peut largement remplacer l’anglais pour que l’on prenne plaisir à écouter swing et jazz (Django Reinhardt, Lester Young, Miles Davis, Dave Brubeck, Chick Corea, Duck Pearson, Duke Ellington, Charlie Parker). Gagné haut la main ! Les textes sont émouvants ou hilarants, les voix sont superbes et l’interprétation de haut vol. L’humour brillant fait virevolter les mots et les figures de style.

Du bonheur, de la joie et un mot en sortant : on en reprendrait bien un autre !!!




Un grand Monsieur qui sait manier les mots et les émotions sans trucages, LA VERITE pure et dure … On partage ou on ne partage pas mais on ne peut pas rester indifférent …

                                    

L’humain sous son plus beau visage, celui qui parle juste, qui aime la vie et ses congénères, qui regarde loin envers et contre tout car l’espérance ne peut jamais s’éteindre quand on suit le chemin du droit, celui de dire « je ne suis pas d’accord, ce n’est pas bon pour moi. » Et pour le plaisir, de l’humour, de la joie, le charme de l’Italie…

 








 


vendredi 14 juillet 2023

OVNI d'Ivan Viripaev - mise en scène d'Eléonore Joncquez

 


OVNI

La puissance bouleversante de la conscience d’être au monde

Festival off d’Avignon – 2023

11. Avignon / 19h45

Texte : Ivan Viripaev[1]

Mise en scène : Eléonore Joncquez

Compagnie : Théâtre du Fracas & Compagnir Pollock Nageoire

En étudiant le programme du festival off de cette année 2023, je tombe sur la pièce OVNI. Un titre qui m’invite spontanément à l’ignorer vu mon manque d’intérêt absolu pour le monde des extra-terrestres… mais en lisant le descriptif j’accroche immédiatement : Neuf personnes témoignent de leur contact avec une force transcendante dont la rencontre a d’un coup modifié absolument et irrévocablement leur rapport au monde et à eux-mêmes. Le mot OVNI a été choisi en tant qu’acronyme pour dire le mystère. Quant au visuel choisi pour illustrer OVNI c’est une adaptation de la fameuse création de l’homme par Dieu sur la voute de la chapelle Sixtine, le doigt de Dieu tendu vers la main d’Adam. Vision géniale de Michel-Ange pour exprimer le sentiment de connexion avec une force transcendante dont parle le dossier de presse d’OVNI. Le choix de ce détail d’une scène de la création, référence au texte qui inaugure la Bible avec le premier chapitre de la Genèse, est une excellente introduction à la confession intime des 9 personnes qui vont nous livrer leur expérience d’une relation nouvelle et imprévue avec une réalité surnaturelle, relation qui les conduit au sentiment d’être des créatures recevant leur existence d’une altérité, expérience débouchant sur la gratitude et sur une conscience très stoïcienne de faire partie d’une harmonie totale, le cosmos.

OVNI est clairement l’un de mes coups de cœur de ce festival 2023. Je partage sans réserve ce qu’en dit L’Humanité, on ressort en effet de cette succession de confessions-témoignages en ayant un fort sentiment d’avoir vécu avec les acteurs (et les personnages qu’ils incarnent) une expérience d’ordre mystique, bref un moment de grâce par la magie du théâtre capable de toucher les cœurs.

Les 9 témoignages sont interprétés par 5 comédiens, ce qui implique bien sûr que certains comédiens jouent deux personnages tout au long du déroulé d’OVNI. Les 9 personnes sont très différentes les unes des autres de par leur âge, leur profession, leur statut social, leur nationalité ou encore leur lieu de résidence. OVNI se présente donc d’emblée comme un spectacle à portée universelle même si son essence repose sur des témoignages par définition uniques et personnels. Comme l’affirme Eléonore Joncquez dans sa note d’intention on y perçoit cette densité, ce kaléidoscope incroyable de l’humanité. Ce spectacle nous plonge de plus en plus, de son commencement à son dénouement, dans le grand questionnement philosophique du rapport entre le particulier et l’universel, car ces personnes très différentes les unes des autres sont reliées profondément les unes aux autres par une expérience bouleversante qui, en les transformant et en faisant irruption dans leur vie, les unit. La mise en scène est assez géniale. Chaque personne est située dans son cadre de vie intime et caractéristique (un petit décor mobile le synthétisant) et, à la fin de la représentation, tous ces mini-décors restés sur scène sont comme les différentes parties d’une unique maison. Les transitions d’une confession à l’autre sont fort bien réalisées par de la musique, de la vidéo et de la danse. Chaque fois l’altérité, le transcendant ou le surnaturel font irruption comme un cadeau, une grâce dans la vie de ces personnes ordinaires. Et c’est bien cette grâce qui leur permet de retrouver leur juste place dans la vie et dans l’univers. On ne peut être que frappé par l’inspiration stoïcienne, voire spinoziste, de beaucoup de ces confessions où finalement ces hommes et ces femmes, décentrés de leur égo par l’altérité, découvrent le sentiment d’être des créatures, des parties d’un grand tout nommé par les stoïciens Cosmos, c’est-à-dire univers ordonné par la raison où chaque être est à sa place en communion avec les autres. On croirait entendre Sénèque ou Marc-Aurèle… Par exemple ces quelques Pensées pour moi-même de Marc Aurèle :

Représente-toi sans cesse le monde comme un être unique, ayant une substance unique et une âme unique (IV.XL). Il n’y a qu’une unique harmonie ; et, de même que le monde, ce si grand corps, se parfait de tous les corps, de même la Destinée, cette si grande cause, se parfait de toutes les causes (V.VIII). Il faut donc aimer pour deux raisons ce qui t’arrive. L’une parce que cela était fait pour toi, te correspondait, et survenait en quelque sorte à toi, d’en haut, de la chaîne des plus antiques causes. L’autre, parce que ce qui arrive à chaque être en particulier contribue à la bonne marche, à la perfection et à la persistance même de Celui qui gouverne la nature universelle (V.VIII). Le respect et l’estime de ta propre pensée feront de toi un homme qui se plaît à lui-même, en harmonie avec les membres de la communauté, et en accord avec les Dieux, c’est-à-dire un homme qui approuve avec acquiescement les lots et les rangs qu’ils ont attribué (VI.XVI). Si les Dieux ont délibéré sur moi et sur ce qui devait m’arriver, ils ont sagement délibéré… je dois donc aimablement accueillir les choses qui m’arrivent et m’en montrer content (VI.XLIV). Toutes les choses sont entrelacées les unes avec les autres ; leur enchaînement est saint, et presque aucune n’est étrangère à l’autre (VII.IX).

Pour citer à nouveau Eléonore Joncquez ce magnifique spectacle initiatique nous fait vivre d’une manière à la fois simple et intense la poésie de ces moments de suspens, entre ciel et terre, sans oublier les innombrables touches d’humour qui permettent le rire sans jamais entraver la réflexion existentielle.

Deux témoignages m’ont particulièrement touché, interprétés par le même comédien, Vincent Joncquez. Tout d’abord celui du jeune geek expatrié habitant Hong-Kong et qui constitue une ode au silence. Ce qu’il dit suite à la rencontre qui est la sienne ressemble beaucoup aux enseignements d’un moine bénédictin anglais, John Main, qui, suite à un voyage et un séjour en Asie, a remis à l’honneur dans l’Eglise catholique une méthode de méditation particulière visant précisément à se laisser habiter par le silence en répétant lentement un unique mantra Maranatha… Le bruit n’étant pas seulement extérieur mais aussi intérieur, le bruit permanent de nos pensées, de nos désirs, de nos jugements. Dans cette tradition spirituelle à la fois chrétienne et asiatique la rencontre avec l’altérité correspond à la découverte du silence qui apaise et guérit l’âme et permet la rencontre avec Dieu. Le second témoignage qui m’a marqué est celui du cadre d’entreprise allemand habitant Cologne et qui comprend suite à sa révélation que ce que nous nommons Dieu est essentiellement de l’ordre de la relation. Dans son témoignage c’est la mystique qui prime sur la morale. Cette partie du spectacle est une perle de réflexion théologique sur les notions de Dieu, de religion etc. On y entend que le but du christianisme n’est pas d’abord de nous rendre meilleurs mais de permettre une spiritualité de la relation, le Dieu chrétien étant lui-même relation. Cela n’est pas dit explicitement dans le texte de Viripaev mais quiconque a entendu parler de la Sainte Trinité ne peut qu’établir ce rapport.

Je conclus cette critique par les mots du programme du off nous présentant OVNI : chacun avec ses mots raconte son « avant » et son « après », cette faille émotionnelle dans le quotidien, cette lumineuse déflagration, cette expérience d’une communion totale. Le texte de Viripaev magistralement interprété par la troupe du Théâtre du fracas et merveilleusement mis en scène par Eléonore Joncquez nous démontre une fois de plus la puissance de cet art vivant qu’est le théâtre. Il y a pour tout spectateur qui franchit la porte du 11 et s’immerge dans OVNI un « avant » et un « après ». On ne ressort pas indemne de cette magnifique ode à la vie et à l’humanité, et c’est tant mieux pour nous.



[1] Ivan Alexandrovitch Vyrypaïev (en russe : Иван Александрович Вырыпаев) est un acteur, dramaturge, réalisateur, scénariste et metteur en scène russe né le 3 août 1974 à Irkoutsk (URSS).

http://theatre-russe.info/pages/whoswho/viripaev01.htm