jeudi 11 juillet 2024

LE VERITABLE SAINT GENEST, de Jean de Rotrou

 


LE VERITABLE SAINT GENEST

Ou la résurrection du saint patron des comédiens 

Festival off d’Avignon – 2024

Théâtre des Corps Saints / 10h30

La troupe de Bourbon / Coréa : Festival Théâtres de Bourbon

Texte : Jean de Rotrou

Mise en scène : Pierre Deusy assisté d’Hélène Robin

Argument de la pièce : Jean de Rotrou, dramaturge et poète français du XVIIème siècle (1609-1650), nous fait revivre avec sa pièce Le véritable saint Genest l’époque de la grande persécution de Dioclétien (303-304) qui utilisa de manière extrême la torture pour contraindre les récalcitrants à sacrifier publiquement aux dieux de l’empire. Dioclétien, que Rotrou nomme Dioclétian, est surtout connu par les historiens de la Rome antique pour avoir institué un nouveau système de gouvernement en 293, la Tétrarchie, avec deux Augustes (un pour l’Occident, un autre pour l’Orient) et deux Césars ayant droit de succession, Dioclétien, Auguste d’Orient, demeurant supérieur en autorité à son confrère d’Occident Maximien. Avec ce nouveau système de gouvernement Rome perd son statut de capitale de l’Empire, l’Auguste d’Orient résidant à Nicomédie (en Turquie actuellement) tandis que l’Auguste d’Occident résidait à Milan. Il semblerait que Rotrou ait fait une confusion historique entre Maximien et Maximin le Thrace qui régna de 235 à 238, qui était un modeste berger avant de gravir progressivement les échelons de l'armée romaine jusqu’à parvenir à la pourpre impériale. Le César de Dioclétien n’était pas Maximin mais Galère, lui aussi d’origine Thrace, né dans une famille très modeste. Galère entre très tôt dans l'armée et progresse rapidement dans la hiérarchie militaire. Repéré par l'empereur Dioclétien, il épouse sa fille Galeria Valeria et devient son César.

Cette rectification d’ordre historique étant faite, revenons à l’argument de la pièce. A l’occasion du mariage de sa fille avec Maximin (dans l’histoire avec Galère), l’empereur demande à son mime préféré et ami Genest, de divertir la cour par une comédie dans laquelle le comédien imiterait « l’obstination » des chrétiens (cf. l’unique mention des chrétiens dans Les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle ; XI.3) afin de les ridiculiser tout en illustrant, bien sûr, les mérites de Maximin. Il s’agit donc de théâtre dans le théâtre, et pour citer la plaquette de présentation de la pièce, « on aura même du théâtre dans le théâtre dans le théâtre quand Sergeste jouera devant Maximin et Genest la façon dont Maximin aura su qu’Adrian (joué par Genest) le trahissait » ! En jouant les chrétiens persécutés, Genest est converti par la grâce divine, et cela « en écoutant ce qu’incarne un autre acteur, Lentule, qui lui ne se convertira pas ». Renversement paulinien de situation qui provoque un quiproquo entre lui et l’empereur qui pense qu’il continue de jouer un rôle avant de comprendre que son mime est réellement devenu lui-même chrétien… donc objet de la rigueur de la loi.

Cette pièce écrite dans la splendide langue du XVIIème siècle, en alexandrins et en vers, est en fait révolutionnaire par bien des aspects. 150 ans avant la Révolution elle déclare que le mérite (ici du berger Maximin) l’emporte sur la naissance (la noblesse des patriciens) ! Elle « défend le doute et la liberté de croire », et surtout, pour la première fois, elle fait de Genest « un saint non pas bien que comédien, mais parce que comédien » ! A une époque où le métier de comédien était très mal vu par les autorités ecclésiastiques (c’était déjà le cas dans la Rome antique où les comédiens étaient en même temps adulés et méprisés, à l’instar des gladiateurs et des conducteurs de chars dans le cirque), le chef d’œuvre baroque de Rotrou apparaît comme un véritable plaidoyer en faveur de la vocation du comédien, une « véritable déclaration d’amour aux comédiens et au théâtre ».

Dans sa note d’intention, Pierre Deusy, créateur en 2019 du festival Théâtres de Bourbon, dévoile la profondeur théologique de la pièce de Rotrou, à une époque où les débats sur la grâce étaient virulents :

Avec une incroyable finesse et sans qu’il y paraisse, Rotrou joue des mises en abymes pour opposer en tout Adrian et Genest, le personnage et le comédien qui l’incarne, celui (protestant ou janséniste) qui affirme la prédestination, n’hésite jamais et a la ligne directe avec le Ciel et celui (catholique) qui tout au contraire incarne la grâce suffisante, ne cesse jamais de douter et aime avant tout la concrétude et l’incarnation : sa vie de comédien, sa vie de troupe et sa liberté. Il ne se contente donc pas de mettre en question un monde articulé sur la naissance et l’intolérance : il fait très habilement comprendre que l’Eglise, qui depuis Tertullien condamne le théâtre, fait fausse route et n’a pas compris que pour le comédien comme pour le catholique, l’incarnation est l’alpha et l’oméga de toute chose. Dans une parfaite « défense et illustration », il établit un parallèle limpide entre la grâce, le don, le talent, et le rôle à jouer, qui sont choses simples auxquelles on doit s’adapter sans bruit, mais sans jamais abdiquer non plus sa liberté d’action, réelle.

Le véritable saint Genest fait partie de mes coups de cœur de ce festival off d’Avignon 2024 pour de nombreuses raisons. Tout d’abord le plaisir d’entendre la belle langue de Rotrou (Quand le voyant marcher du baptême au trépas, il semble que les feux soient des fleurs sous ses pas), ensuite la sortie de l’oubli dans lequel était tombé ce comédien-martyr grâce à cette création de la pièce pour le festival off, enfin le très beau jeu des comédiens, en particulier celui de Rémi de Monvel dans le rôle-titre, d’Olivier Bruaux dans le portrait tout en nuances de l’empereur persécuteur, sans oublier Héloïse Cunin qui incarne avec une grande délicatesse Natalie, l’épouse de Genest.

En guise d’ouverture ce merveilleux passage dans la bouche de Genest :

Je vous ai divertis, j’ai chanté vos louanges ;

Il est temps maintenant de réjouir les Anges,

Il est temps de prétendre à des prix immortels,

Il est temps de passer du théâtre aux autels.

Si je l’ai mérité, qu’on me mène au martyre :

Mon rôle est achevé, je n’ai plus rien à dire.

Le texte de Rotrou est disponible en format PDF sur Internet ici :

https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/ROTROU_SAINTGENEST.pdf      

Enfin on peut aussi acheter l’édition papier de cette œuvre éditée par Flammarion en 1999 dans la collection GF pour la modique somme de 9 euros.

 


 

 

 

 

 

 

 

 


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