LE
VERITABLE SAINT GENEST
Ou
la résurrection du saint patron des comédiens
Festival
off d’Avignon – 2024
Théâtre
des Corps Saints / 10h30
La troupe
de Bourbon / Coréa : Festival Théâtres de Bourbon
Texte :
Jean de Rotrou
Mise en
scène : Pierre Deusy assisté d’Hélène Robin
Argument de la pièce : Jean de
Rotrou, dramaturge et poète français du XVIIème siècle (1609-1650), nous fait
revivre avec sa pièce Le véritable saint Genest l’époque de la grande
persécution de Dioclétien (303-304) qui utilisa de manière extrême la torture
pour contraindre les récalcitrants à sacrifier publiquement aux dieux de
l’empire. Dioclétien, que Rotrou nomme Dioclétian, est surtout connu par
les historiens de la Rome antique pour avoir institué un nouveau système de
gouvernement en 293, la Tétrarchie, avec deux Augustes (un pour l’Occident, un
autre pour l’Orient) et deux Césars ayant droit de succession, Dioclétien,
Auguste d’Orient, demeurant supérieur en autorité à son confrère d’Occident
Maximien. Avec ce nouveau système de gouvernement Rome perd son statut de
capitale de l’Empire, l’Auguste d’Orient résidant à Nicomédie (en Turquie
actuellement) tandis que l’Auguste d’Occident résidait à Milan. Il semblerait
que Rotrou ait fait une confusion historique entre Maximien et Maximin le
Thrace qui régna de 235 à 238, qui était un modeste berger avant de gravir
progressivement les échelons de l'armée romaine jusqu’à parvenir à la pourpre
impériale. Le César de Dioclétien n’était pas Maximin mais Galère, lui aussi
d’origine Thrace, né dans une famille très modeste. Galère entre très tôt dans
l'armée et progresse rapidement dans la hiérarchie militaire. Repéré par
l'empereur Dioclétien, il épouse sa fille Galeria Valeria et devient son César.
Cette rectification d’ordre
historique étant faite, revenons à l’argument de la pièce. A l’occasion du
mariage de sa fille avec Maximin (dans l’histoire avec Galère), l’empereur
demande à son mime préféré et ami Genest, de divertir la cour par une comédie
dans laquelle le comédien imiterait « l’obstination » des chrétiens
(cf. l’unique mention des chrétiens dans Les Pensées pour moi-même de
Marc Aurèle ; XI.3) afin de les ridiculiser tout en illustrant, bien sûr,
les mérites de Maximin. Il s’agit donc de théâtre dans le théâtre, et pour
citer la plaquette de présentation de la pièce, « on aura même du théâtre
dans le théâtre dans le théâtre quand Sergeste jouera devant Maximin et Genest
la façon dont Maximin aura su qu’Adrian (joué par Genest) le trahissait » !
En jouant les chrétiens persécutés, Genest est converti par la grâce divine, et
cela « en écoutant ce qu’incarne un autre acteur, Lentule, qui lui ne se
convertira pas ». Renversement paulinien de situation qui provoque un
quiproquo entre lui et l’empereur qui pense qu’il continue de jouer un rôle
avant de comprendre que son mime est réellement devenu lui-même chrétien… donc
objet de la rigueur de la loi.
Cette pièce écrite dans la
splendide langue du XVIIème siècle, en alexandrins et en vers, est en fait
révolutionnaire par bien des aspects. 150 ans avant la Révolution elle déclare
que le mérite (ici du berger Maximin) l’emporte sur la naissance (la noblesse
des patriciens) ! Elle « défend le doute et la liberté de
croire », et surtout, pour la première fois, elle fait de Genest « un
saint non pas bien que comédien, mais parce que
comédien » ! A une époque où le métier de comédien était très mal vu
par les autorités ecclésiastiques (c’était déjà le cas dans la Rome antique où
les comédiens étaient en même temps adulés et méprisés, à l’instar des
gladiateurs et des conducteurs de chars dans le cirque), le chef d’œuvre
baroque de Rotrou apparaît comme un véritable plaidoyer en faveur de la
vocation du comédien, une « véritable déclaration d’amour aux comédiens et
au théâtre ».
Dans sa note d’intention, Pierre
Deusy, créateur en 2019 du festival Théâtres de Bourbon, dévoile la
profondeur théologique de la pièce de Rotrou, à une époque où les débats sur la
grâce étaient virulents :
Avec une incroyable finesse et
sans qu’il y paraisse, Rotrou joue des mises en abymes pour opposer en tout
Adrian et Genest, le personnage et le comédien qui l’incarne, celui (protestant
ou janséniste) qui affirme la prédestination, n’hésite jamais et a la ligne
directe avec le Ciel et celui (catholique) qui tout au contraire incarne la
grâce suffisante, ne cesse jamais de douter et aime avant tout la concrétude et
l’incarnation : sa vie de comédien, sa vie de troupe et sa liberté. Il ne
se contente donc pas de mettre en question un monde articulé sur la naissance
et l’intolérance : il fait très habilement comprendre que l’Eglise, qui
depuis Tertullien condamne le théâtre, fait fausse route et n’a pas compris que
pour le comédien comme pour le catholique, l’incarnation est l’alpha et l’oméga
de toute chose. Dans une parfaite « défense et illustration », il
établit un parallèle limpide entre la grâce, le don, le talent, et le rôle à
jouer, qui sont choses simples auxquelles on doit s’adapter sans bruit, mais
sans jamais abdiquer non plus sa liberté d’action, réelle.
Le véritable saint Genest fait
partie de mes coups de cœur de ce festival off d’Avignon 2024 pour de
nombreuses raisons. Tout d’abord le plaisir d’entendre la belle langue de
Rotrou (Quand le voyant marcher du baptême au trépas, il semble que les feux
soient des fleurs sous ses pas), ensuite la sortie de l’oubli dans lequel
était tombé ce comédien-martyr grâce à cette création de la pièce pour le
festival off, enfin le très beau jeu des comédiens, en particulier celui de
Rémi de Monvel dans le rôle-titre, d’Olivier Bruaux dans le portrait tout en
nuances de l’empereur persécuteur, sans oublier Héloïse Cunin qui incarne avec
une grande délicatesse Natalie, l’épouse de Genest.
En guise d’ouverture ce
merveilleux passage dans la bouche de Genest :
Je vous ai divertis, j’ai chanté
vos louanges ;
Il est temps maintenant de
réjouir les Anges,
Il est temps de prétendre à des
prix immortels,
Il est temps de passer du théâtre
aux autels.
Si je l’ai mérité, qu’on me mène
au martyre :
Mon rôle est achevé, je n’ai plus
rien à dire.
Le texte de Rotrou est disponible
en format PDF sur Internet ici :
https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/ROTROU_SAINTGENEST.pdf
Enfin on
peut aussi acheter l’édition papier de cette œuvre éditée par Flammarion en
1999 dans la collection GF pour la modique somme de 9 euros.
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