jeudi 11 juillet 2024

TOM A LA FERME, de Michel Marc Bouchard





TOM A LA FERME

Parabole pascale 

Festival off d’Avignon – 2024

Théâtre des Corps Saints / 17h00

Nacéo

Texte : Michel Marc Bouchard

Mise en scène : Olivier Sanquer

Le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard, né en 1958, a écrit Tom à la ferme en 2009 (création en 2011). Xavier Dolan a adapté au cinéma en 2013 l’œuvre de Bouchard. Pour la 4ème année consécutive cette pièce de théâtre est présentée dans le cadre du festival Off d’Avignon, cette année au théâtre des Corps Saints, après 3 années de succès.

Le metteur en scène, comédien et danseur, Olivier Sanquer, est né à Paris en 1983. Sa première mise en scène, Les Feluettes (reprise à l’Atelier 44 à 14h20) de Michel Marc Bouchard, fut jouée plus de cent fois à Paris, Avignon et au Québec. Olivier a ensuite fondé la compagnie Nacéo Suisse en 2011. Son “théâtre de l’accident”, rejetant toute forme d’inertie et de confort, a donné lieu à une vingtaine de spectacles (Genet, Ronfard, McDonagh, Bouchard).

Tom, un jeune publicitaire montréalais, se rend dans une ferme éloignée et isolée pour assister aux funérailles de son amoureux. Là, il rencontre Agathe, la mère de son amant, persuadée que Tom n’est qu’un ami de son fils. Tom fait aussi la connaissance de Francis, le grand frère du défunt qui est, lui, très au fait de la nature de leur relation.

La mise en scène d’Olivier Sanquer est minimaliste : 4 chaises qui se transforment à l’occasion et, dominant l’intérieur de la maison d’Agathe ou de l’église lors des funérailles, un crucifix placé en position centrale. Contrairement à l’adaptation pour le cinéma de Dolan la pièce mise en scène par Olivier Sanquer se passe uniquement en intérieur, dans une espèce de huis clos, le même espace se transformant en différents lieux au fur et à mesure de la progression de l’action.

Le thème central est clairement celui d’un amour tabou qui ne peut être dit et qui par conséquent doit demeurer caché au moment même du drame ultime : la mort de l’amant de Tom. Il est significatif que le nom du défunt ne soit jamais prononcé d’un bout à l’autre de la pièce… Il est l’amant, le fils, le frère, mais nous ne savons pas comment il s’appelle. S’agit-il d’une correspondance lumineuse entre un amour qui ne peut être dit et un nom qui ne doit pas être prononcé ? Qui ne peut plus être prononcé une fois la vérité découverte ? Comme une indication qu’avant même sa mort cet anonyme n’existait pas dans sa vérité d’être humain pour les membres de sa famille parce qu’il aimait Tom ? Comme si le tabou d’une relation amoureuse cachée rendait tabou lui-même le protagoniste disparu de cette relation ? Le frère du défunt Francis use de menaces et de violence pour que le secret soit maintenu, pour « préserver » Agathe éprouvée par le deuil. Il va même jusqu’à créer de toutes pièces une fiancée, Sara, à son frère défunt. La pièce développe l’opposition entre le monde urbain (Tom) et celui de la campagne québécoise (Francis). L’acceptation d’une orientation sexuelle différente de celle de la majorité semble en effet plus problématique en milieu rural qu’en milieu urbain là où l’anonymat règne. C’est cette distance des mentalités qu’illustre la pièce avec la violence sous-jacente de Francis à l’égard de Tom, violence qui ira crescendo mais qui révélera aussi une fragilité (un secret inavoué ?) dans une scène de danse inoubliable. Le jeune urbain se surprendra quant à lui à goûter la vie de la ferme (la naissance du veau) et un rapprochement inattendu et surprenant s’opérera entre lui et Francis, jusqu’à l’arrivée de la fausse fiancée qui fera jaillir la vérité. Le jeu des acteurs et actrices est puissant (2 hommes et 2 femmes), particulièrement la confrontation entre Tom (Elie Boissière, en alternance avec Sébastien Pruvost) et Francis (Axel Arnault) ne laissera pas les spectateurs indifférents. Les rôles féminins d’Agathe et de Sara sont respectivement joués par Marie Burkhardt et Amandine Favier, en alternance avec Angélique Kern Ros. Pour ceux qui ont vu le film de Dolan une différence essentielle s’impose avec la pièce mise en scène par Olivier Sanquer : la dimension religieuse incarnée par la présence du crucifix dominant la scène et mis en valeur par l’éclairage, lumière qui s’éteint uniquement au moment de la scène des funérailles dans l’église, comme pour suggérer que Dieu est présent partout, hors les murs des églises et que l’on ne saurait l’y enfermer comme le Dieu d’Israël autrefois dans le temple de Jérusalem. De la bouche de la mère en deuil, Agathe, croyante convaincue, sortent des versets bibliques judicieusement répartis tout au long de la progression de l’action, versets éminemment pascals, faisant tous référence au mystère du Christ mort et ressuscité. J’ai vu cette pièce le 3 juillet en la fête de l’apôtre saint Thomas et quelle ne fut pas ma surprise d’entendre cette citation du chapitre 20 de l’Evangile selon saint Jean, parole adressée par le Christ ressuscité à son apôtre qui refuse de croire le témoignage des autres apôtres :

Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »

Le crucifix, les citations des Evangiles mais aussi la magnifique musique du Magnificat en latin donnent indéniablement à ce spectacle une dimension spirituelle forte. Tous ces éléments sont utilisés par Olivier Sanquer avec un grand respect. A un moment de la pièce un lien très fort est établi entre le mystère pascal du Christ et le défunt...

Tom à la ferme est une œuvre bouleversante et forte qui ne laissera personne indifférent. Elle mérite d’être vue et méditée. Car elle donne beaucoup à penser. L’imbrication géniale entre le silence d’un amour qui ne peut être dit, même au moment de la mort, et les paroles évangéliques proférées par la mère du défunt mérite une mention spéciale. C’est ainsi la relation entre nos amours humaines dans leur diversité et l’amour divin dans son universalité qui se profile à l’horizon de cette œuvre qui, malgré sa violence palpable, est remplie de l’espérance chrétienne en la victoire finale de la vie sur toute forme de mort. Le crucifix, signe de la violence extrême subie et acceptée par le Christ, renvoie à la violence exercée par Francis sur Tom faisant de ce dernier comme une image du Christ. Même si Francis ne se transforme pas en agneau, sa rencontre avec Tom semble bien le transformer quelque peu. Au sein d’une relation faite au départ d’incompréhension, d’impossibilité à communiquer, d’hostilité franche, la mort de l’amant et du frère rapproche indéniablement Tom et Francis, le monde urbain et le monde rural, celui qui jouit à Montréal d’une vie sociale intense et celui qui crève de solitude et d’isolement au milieu de ses vaches… portant dans sa conscience le poids d’un acte le condamnant à ne fréquenter que sa mère.

En guise d’ouverture, cette citation de l’Evangile selon saint Luc :

Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Alors qu’elles étaient désemparées, voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol. Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?

Je remercie Axel pour sa précieuse relecture de cette critique du spectacle.

 

 




 

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