TOM A LA
FERME
Parabole
pascale
Festival
off d’Avignon – 2024
Théâtre
des Corps Saints / 17h00
Nacéo
Texte :
Michel Marc Bouchard
Mise en
scène : Olivier Sanquer
Le dramaturge québécois Michel
Marc Bouchard, né en 1958, a écrit Tom à la ferme en 2009 (création en
2011). Xavier Dolan a adapté au cinéma en 2013 l’œuvre de Bouchard. Pour la 4ème
année consécutive cette pièce de théâtre est présentée dans le cadre du festival
Off d’Avignon, cette année au théâtre des Corps Saints, après 3 années de
succès.
Le metteur en scène, comédien et
danseur, Olivier Sanquer, est né à Paris en 1983. Sa première mise en scène, Les
Feluettes (reprise à l’Atelier
44 à 14h20) de Michel Marc Bouchard, fut jouée plus de cent fois à Paris,
Avignon et au Québec. Olivier a ensuite fondé la compagnie Nacéo Suisse en
2011. Son “théâtre de l’accident”, rejetant toute forme d’inertie et de
confort, a donné lieu à une vingtaine de spectacles (Genet, Ronfard, McDonagh,
Bouchard).
Tom, un jeune publicitaire
montréalais, se rend dans une ferme éloignée et isolée pour assister aux
funérailles de son amoureux. Là, il rencontre Agathe, la mère de son amant,
persuadée que Tom n’est qu’un ami de son fils. Tom fait aussi la connaissance
de Francis, le grand frère du défunt qui est, lui, très au fait de la nature de
leur relation.
La mise en scène d’Olivier
Sanquer est minimaliste : 4 chaises qui se transforment à l’occasion et,
dominant l’intérieur de la maison d’Agathe ou de l’église lors des funérailles,
un crucifix placé en position centrale. Contrairement à l’adaptation pour le
cinéma de Dolan la pièce mise en scène par Olivier Sanquer se passe uniquement
en intérieur, dans une espèce de huis clos, le même espace se transformant en
différents lieux au fur et à mesure de la progression de l’action.
Le thème central est clairement
celui d’un amour tabou qui ne peut être dit et qui par conséquent doit demeurer
caché au moment même du drame ultime : la mort de l’amant de Tom. Il est
significatif que le nom du défunt ne soit jamais prononcé d’un bout à l’autre
de la pièce… Il est l’amant, le fils, le frère, mais nous ne savons pas comment
il s’appelle. S’agit-il d’une correspondance lumineuse entre un amour qui ne
peut être dit et un nom qui ne doit pas être prononcé ? Qui ne peut plus
être prononcé une fois la vérité découverte ? Comme une indication
qu’avant même sa mort cet anonyme n’existait pas dans sa vérité d’être humain
pour les membres de sa famille parce qu’il aimait Tom ? Comme si le tabou
d’une relation amoureuse cachée rendait tabou lui-même le protagoniste disparu
de cette relation ? Le frère du défunt Francis use de menaces et de
violence pour que le secret soit maintenu, pour « préserver » Agathe
éprouvée par le deuil. Il va même jusqu’à créer de toutes pièces une fiancée, Sara,
à son frère défunt. La
pièce développe l’opposition entre le monde urbain (Tom) et celui de la
campagne québécoise (Francis). L’acceptation d’une orientation sexuelle
différente de celle de la majorité semble en effet plus problématique en milieu
rural qu’en milieu urbain là où l’anonymat règne. C’est cette distance des
mentalités qu’illustre la pièce avec la violence sous-jacente de Francis à
l’égard de Tom, violence qui ira crescendo mais qui révélera aussi une
fragilité (un secret inavoué ?) dans une scène de danse inoubliable. Le
jeune urbain se surprendra quant à lui à goûter la vie de la ferme (la
naissance du veau) et un rapprochement inattendu et surprenant s’opérera entre
lui et Francis, jusqu’à l’arrivée de la fausse fiancée qui fera jaillir la
vérité. Le jeu des acteurs et actrices est puissant (2 hommes et 2 femmes),
particulièrement la confrontation entre Tom (Elie Boissière, en alternance avec
Sébastien Pruvost) et Francis (Axel Arnault) ne laissera pas les spectateurs
indifférents. Les rôles féminins d’Agathe et de Sara sont respectivement joués
par Marie Burkhardt et Amandine Favier, en alternance avec Angélique Kern Ros. Pour ceux qui ont vu le
film de Dolan une différence essentielle s’impose avec la pièce mise en scène
par Olivier Sanquer : la dimension religieuse incarnée par la présence du
crucifix dominant la scène et mis en valeur par l’éclairage, lumière qui
s’éteint uniquement au moment de la scène des funérailles dans l’église, comme
pour suggérer que Dieu est présent partout, hors les murs des églises et que
l’on ne saurait l’y enfermer comme le Dieu d’Israël autrefois dans le temple de
Jérusalem. De la bouche de la mère en deuil, Agathe, croyante convaincue,
sortent des versets bibliques judicieusement répartis tout au long de la
progression de l’action, versets éminemment pascals, faisant tous référence au
mystère du Christ mort et ressuscité. J’ai vu cette pièce le 3 juillet en la
fête de l’apôtre saint Thomas et quelle ne fut pas ma surprise d’entendre cette
citation du chapitre 20 de l’Evangile selon saint Jean, parole adressée par le
Christ ressuscité à son apôtre qui refuse de croire le témoignage des autres
apôtres :
Huit jours plus tard, les
disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux.
Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au
milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : «
Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon
côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Le crucifix, les citations des
Evangiles mais aussi la magnifique musique du Magnificat en latin donnent
indéniablement à ce spectacle une dimension spirituelle forte. Tous ces
éléments sont utilisés par Olivier Sanquer avec un grand respect. A un moment
de la pièce un lien très fort est établi entre le mystère pascal du Christ et
le défunt...
Tom à la ferme est une
œuvre bouleversante et forte qui ne laissera personne indifférent. Elle mérite
d’être vue et méditée. Car elle donne beaucoup à penser. L’imbrication géniale
entre le silence d’un amour qui ne peut être dit, même au moment de la mort, et
les paroles évangéliques proférées par la mère du défunt mérite une mention
spéciale. C’est ainsi la relation entre nos amours humaines dans leur diversité
et l’amour divin dans son universalité qui se profile à l’horizon de cette œuvre
qui, malgré sa violence palpable, est remplie de l’espérance chrétienne en la
victoire finale de la vie sur toute forme de mort. Le crucifix, signe de la
violence extrême subie et acceptée par le Christ, renvoie à la violence exercée
par Francis sur Tom faisant de ce dernier comme une image du Christ. Même si
Francis ne se transforme pas en agneau, sa rencontre avec Tom semble bien le
transformer quelque peu. Au sein d’une relation faite au départ
d’incompréhension, d’impossibilité à communiquer, d’hostilité franche, la mort
de l’amant et du frère rapproche indéniablement Tom et Francis, le monde urbain
et le monde rural, celui qui jouit à Montréal d’une vie sociale intense et
celui qui crève de solitude et d’isolement au milieu de ses vaches… portant
dans sa conscience le poids d’un acte le condamnant à ne fréquenter que sa
mère.
En guise d’ouverture, cette
citation de l’Evangile selon saint Luc :
Elles entrèrent, mais ne
trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Alors qu’elles étaient désemparées,
voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Saisies de
crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol. Ils leur dirent : «
Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?
Je remercie Axel pour sa
précieuse relecture de cette critique du spectacle.
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